Tu t’es installée dans le vieux fauteuil en rotin avec ses coussins aux couleurs passées, jambes allongées, le cou enfui au chaud dans le col de ta veste, une tasse à la main. Marthe est à côté de toi, sur la banquette, appuyée contre le mur une couverture sur les épaules, et elle aussi, une tasse à la main. Vous ne parlez pas, ou plutôt, vous ne parlez plus, chacune dans ses pensées. Depuis la terrasse, vous voyez toute la montagne devant, le jour qui tombe, les couleurs qui s’effacent, les détails qui disparaissent, la montagne qui se réduit à son profil, arbres, ruisseaux, combes, pierriers ou arbustes, tous les détails de la peau de la terre, de ses vêtements, les étoffes, les textures, les couleurs, jusqu’à leur épaisseur, tout se mêle dans le noir et il ne reste plus que les crêtes, les sommets et les cols pour se découper, sombres, sur le plus clair du ciel. Toujours plus clair, le ciel, mais maintenant suffisamment foncé pour que sortent une à une les lumières des étoiles. La Grande Ourse, Cassiopée, Orion, … tu n’en connais pas beaucoup et plus elles apparaissent, plus ça devient confus, trop d’étoiles diluent les clartés, les repères. Tu te revois sur l’île, la nuit devant la tente, à essayer de trouver les lumières des phares au milieu du clinquant des lumières de la ville. Les phares de mer clignotent. C’est leur disparation qui les fait apparaitre comme des lumières précieuses. C’est un cri répété par mille sentinelles, un appel de chasseurs, perdus dans les grands bois. Alors tu t’accroches aux étoiles que tu sais, celles dont tu es sûre et dont tu sais le nom. Et tu sais aussi qu’il ne faut surtout pas les quitter des yeux, tu sais très bien qu’elles bougent, se déplacent tranquillement que ce mouvement très lent, tu ne le vois pas comme tel, mais que tes yeux s’échappent, ne serait-ce qu’un instant, et quand ils y reviennent, c’est un tout autre monde. Les étoiles se déplacent, mais aussi elles basculent, les constructions chavirent, se renversent et culbutent, des lignes horizontales se retrouvent verticales, les à côté d’avant se retrouvent au-dessus, tout change et se déforme, évolue, se distend, bouleverse les hiérarchies. Et tu ne cherches plus à retrouver leurs noms, les étoiles finissent simplement par devenir des étoiles, belles chacune pour elle seule et indépendamment des autres qui les font devenir constellations. Tu les voies pour elles seules, oubliant tout système et c’est tout aussi beau, voire même plus émouvant, au diable les ensembles, amas, constellations, tu les vois une à une, chacune comme un phare qui t’emmènerait ailleurs