Bristol. Si j’avais pu je m’y serais pendu. Je m’y suis perdu. Les goélands chantaient dans le ciel sale et froid, et moi, dans mon cœur, c’était lourd et douloureux. Ca ne voulait pas me quitter. M’étouffait. J’aurais voulu m’en libérer, de ces idées noires qui s’agglutinaient dans ma tête, j’aurais pu partir, ou me pendre, m’enterrer, pourtant, je l’aimais, cette ville.
La mer prenait le pas. Je la voyais me lécher les pieds. Je la voyais m’étouffer. Je l’entendais qui emportait tout. Toutes les ruines du monde. Fragments de nos livres, de nos voix.
Les goélands dans le ciel triste chantaient. Moi, je m’enfonçais. Ivre. De toutes ces images. De tous ces bruits. Comme rongé. M’effritant. Falaise battue. Je me perdais dans les rues de la ville. Et alors que je grimpais, saignant et suffoquant, j’entendais autour de moi des bruits de pas.
Ca vivait. Les terrasses des cafés étaient pleines de monde. Partout, il y avait des affiches. La troupe du Roi Lion allait bientôt se produire dans le Bristol Hippodrome. Les gens étaient insouciants. Moi, sans la peur de la mort, je serais monté au sommet de la tour qui se dressait devant moi, et je me serais pendu.
Je partageais l’appartement avec des kékés. Des gosses de riches. Crasseux. Le soir je les retrouvais assis en slip dans le salon. Les jambes écartées. Avachis. Ils fumaient. Joint après joint. Ricanaient. Dans la cuisine ça puait la mort. Ils avaient des convictions. De braves petits sarkozystes décomplexés. Méprisants envers les plus démunis. Ils étaient droits dans leurs bottes. Les assiettes s’accumulaient. Ils n’en avaient rien à branler. On aurait cru l’odeur de mille cadavres entassés. Ils avaient voulu me coincer. Tu penses quoi du conflit israélo-palestinien. Evidemment. Avec mes origines syriennes. Il fallait savoir. Se renseigner sur mes sympathies. En savoir plus sur mes engagements politiques. Tu es du côté des Palestiniens peut-être. Et ça ricanait. Assis en slip. Avachis. Les jambes écartées. Ca ricanait fort.
Mais moi, si j’avais pu, j’aurais foutu le feu à toute cette foutue planète, et personne n’aurait gagné la partie.
On est sortis en boite de nuit. Les gens se saoulaient, désespérés. Ils dansaient. C’est comme si la fin du monde arrivait. Comme si on voulait oublier. On dansait, malades, esseulés, dépeuplés, supportant le poids de l’inaudible musique qui agressait nos oreilles, et autour de moi, furieusement, les lumières clignotaient.
J’ai erré. Erré dans les rues de la ville. Dans ses restaurants. Dans ses cafés. Ses cinémas. Ses boutiques. Ses cathédrales. J’errais. Je montais vers le ciel plein de goélands. C’est comme si j’avais des ailes. Je regardais mes pieds. Et à un moment, comme encouragé par quelque chose, comme un sentiment de joie retrouvé, j’ai levé les yeux et je l’ai vue, belle, imposante, lumineuse, la tour de l’Université de Bristol.
J’aime beaucoup ton écriture Jad, forte, puissante et juste. Quand écris-tu des livres ? Mais peut-être les écris tu déjà ou ils existent déjà ? Bravo et merci pour ces textes.