Un panneau d’affichage à cadre en bois : ce qui ressemble à des lettres officielles format A4, des cartes de visite cartonnées pour des séances de relaxation, adhérer à une association, horaires des réunions, flyers, campagne d’information où un cœur dessiné ouvre les bras sur une image puis sur l’autre met les mains sur ses hanches, le calendrier des vaccinations en forme de liste, le temps d’une vie humaine, rappel des règles de politesse et de cordialité et d’un article de loi qui établit les conséquences auxquelles s’exposer lorsqu’on contrevient à ces règles. Le panneau n’est pas complètement rempli. Les papiers punaisés sont peut-être plus regardés que lus, regardés par salves d’instants, debout, une béquille en soutien, debout, une nervosité dans la nuque, assis, chaise roulante et plâtre. Le plus souvent on passe devant. Un dossier contre la poitrine, un gilet de laine par-dessus la blouse. En chaussures blanches à semelles confortables. En blouses bleues, ou couleur crème. De chaque côté du panneau, des portes fermées, numérotées ou, avec une indication, secrétariat, radiologie, service de. Régulièrement les mots bonjour parviennent. Pas de fenêtre. Les chaises alignées trois par trois contre le mur. Une porte plus massive avec un pictogramme d’escalier. Un brancard, roues, perfusion, draps et une couverture sable, le visage couché ne ressemble pas au visage réel, la gravité est plus forte, les os plus minces, les joues plus aplaties, les yeux moins capables de voir ce qui est affiché sur le panneau, moins capables de lire, simplement. Ce que le texte et les mots disent ne peut pas remplir l’air des couloirs. Rien n’est écrit de ce qui est dit. Ce qui est dit à voix haute n’est pas retranscrit. Ce qui est écrit répond à d’autres questions, à d’autres sphères de communication. Ce qui est parlé pose les questions. Qu’est-ce qui va m’arriver ? est la question principale, qui n’est ni prononcée à voix haute, ni écrite. Cette question devrait occuper l’entièreté du panneau d’affichage à cadre en bois. Son point d’interrogation devrait déborder du cadre, comme il déborde des cadres de l’entendement et du futur. La présence du futur n’est pas visible. La gravité qui aplatit les joues freine le domaine du futur jusqu’à empêcher qu’il advienne. Transit. État de ce qui passe. Mais qu’est-ce qui passe, et qu’est-ce qui se passe sont les autres questions non affichées. Le dessin d’un cœur aux mains sur les hanches répond totalement à côté. Parlant d’un patient, le médecin fait tourner plusieurs fois son index près de sa tempe et dit « Il intellectualise beaucoup ». C’est que tout se passe dans la tête qui est elle-même prise dans le corps qui est lui-même soumis à l’air non communiqué et à la gravité ici très largement universelle. Ascenseur double. Entrer d’un côté. Sortir de l’autre. Portes ouvertes. Des pieds sous des draps. Salle ronde du secrétariat avec arrondi du plexiglas. Sommations, ordres Pensez à présenter Cartes Numéros Matricules Heures d’ouverture. Couloir au bout. Porte de chambre fermée, avec chariot devant, contenant sacs blancs, boîtes de masques, maryses bleues à enfiler autour du cou comme des tabliers de bouchers et gants de plastique. Cris à l’intérieur. Repartir. À l’autre bout du couloir, salle rectangulaire, chaises scellées, une plante verte, une fenêtre donnant sur la cour intérieure et les toits des bâtiments dessous, filtrations, cheminées, souffleries, ventilateurs. Rester là. Mains secourables. Explications. Rester là. Couloir à nouveau. À nouveau la porte, les cris, mais moins angoissants car connus à l’avance, comme filtrés, par la conscience à l’avance de les avoir entendus déjà, et compris déjà. Revenir demain. Brindilles. Chiens. Touristes. Trouver par accident dans le sac la clé usb qui contient « Brève histoire de l’immigration italienne ». Clé usb donnée hier à l’imprimerie, papier épais, couleur, avec rhodoïd en couverture, sur une gravure proposée par un supplément du Petit Journal. Sous cette gravure le texte Les émigrants italiens à la gare de Saint Lazare, couverture du Journal L’Illustration, 28 mars 1896. Crédit :Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration. Elle me l’a demandé. Sans savoir ce que c’était. Sans connaître l’image. Lui donner le jour de son quatre-vingt-quinzième anniversaire.
&Ce qui est dit à voix haute n’est pas retranscrit. Ce qui est écrit répond à d’autres questions, à d’autres sphères de communication »
oui mais en souriant aux formules aux images aux juxtapositions au bonheur des mots on sent ce qu’ils ne disent pas
tu me bluffera toujours