Retour de Louis en Marchand de Tapis…
Il ne disait jamais quelle direction il prendrait, au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, il indiquait simplement la destination principale, éventuellement une ou deux étapes ,pas plus de cent kilomètres par jour sur des routes nationales et départementales. A chaque fois l’hôtel et ses papiers de courrier à en-tête, c’était son luxe à lui, avec les savonnettes, les shampoings gratuits et les serviettes en éponge blanches à disposition. Il avait ses préférences et n’hésitait pas à transmettre ses notes de frais réels à son employeur : Mr B., tout est écrit à l’encre de gros stylo plume. Un luxe annuel publicitaire. A cette époque, la notoriété marchande reposait sur le nombre de bons « représentants » sillonnant presque toute la France, et déposant la marque dans les boutiques à clients solvables. Avec un salaire de base motivant, la rémunération à la prime galvanisait les ambitions de promotion dans la Maison B. ne serait-ce que pour obtenir de l’avancement et même des avantages en nature. Les coffres de voiture débordaient d’articles saisonniers invendus qu’il fallait évacuer d’une façon ou d’une autre. Le costume trois-pièces de rigueur, la cravate élégante, la lourde montre dorée à gousset, servaient évidemment de vitrines à promesse de qualité des produits. Satisfaits ou remboursés l’idée était déjà en vogue. Rien à voir avec les fournitures à farfouille d’aujourd’hui, démaillées, froissées au premier enfilage et déteintes au premier lavage. Louis vantait avec engouement, et même de retour chez lui à sa femme et ses gosses, la provenance du tissu et de la teinture, le sérieux et le prestige de la fabrication française. L’industrie textile battait son plein au début du XXe siècle. Le goût des fanfreluches et de la fête galante avait été le contre-coup de la grande guerre et de toutes ses horreurs visuelles. Mathilde a saisi des bribes de cette ambiance par les récits de son propre père qui a toujours admiré la débrouillardise et l’élégance paternelles. Il en a hérité avec plus de fantaisie et beaucoup moins de goût pour les chiffres et l’argent.Lui, avait la fibre artistique et contemplative de sa mère Thérèse S.
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Mathilde a déjà parlé de l’importance des bagnoles pour ce grand-père commercial bourlingueur et bon vivant, malgré tout encore attaché à la terre collante et viticole de ses ancêtres beaujolais. Pour lui, rester les deux sabots collés au même endroit avait rapidement fait figure de déchéance et de manque d’imagination. Son père au chapeau melon et au regard droit et clair sur la photo ancienne lui a -t-il transmis les chromosomes d’Hermès ? La mobilisation de Louis dans les Balkans, à l’Est donc, pendant la guerre de 14-18 lui avait donné le goût de paysages différents et de décors nouveaux. Du fait de la dispersion des déménagements, pourtant peu nombreux, et de la succession tardive, il subsiste peu d’objets personnels lui ayant appartenu. Mathilde a été heureuse de retrouver outre ses lunettes couleur caramel un peu molles etdéjà évoquées, cette plaque gravée à ses nom et prénom portant un médaillon de St Christophe, protecteur des voyageurs. Elle comportait encore les deux minuscules vis en acier brillant qui la maintenait sans doute, à droite du volant, sur le tableau de bord. Louis n’a jamais eu d’accident de voiture, en tout cas, relaté. A-t-il acheté finalement le modèle Licorne qu’il avait tant fantasmé juste avant la deuxième guerre mondiale pour épater sa nouvelle épouse ? Lui qui avait traversé l’hexagone de part en part et visité une partie de l’Europe orientale, poussé jusqu’à la Grèce, s’est retrouvé épinglé comme un papillon, au Mont Joly… dans la maison endeuillée et vide d’enfants… jusqu’à sa propre mort.
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Le Sud, ce sont les parents de Mathilde qui l’ont osé. Le Nord ou l’Ouest, ce n’était pas trop envisageable, même pour fuir, après le clash avec la belle -mère et Louis l’autoritaire mais bien incapable de contrer l’hystérie de son épouse jalouse et vindicative…Trop c’est trop… R . a lâché le vignoble où il travaillait pour Louis, en pleines vendanges… Et il est parti se faire embaucher dans une compagnie d’exportation de cacao au Cameroun où il est resté seul un an, avant de faire venir sa femme et leurs deux premiers garçons. Ils y sont restés deux ans, deux ans de bonheur selon eux, loin de la France et des mauvais souvenirs, comme une renaissance … Le rêve a pris fin peu après la naissance du troisième garçon. Le climat trop éprouvant pour des blancs et le paludisme, ont provoqué leur rapatriement. Ils ont atterri à Nîmes dans le sud, où Mathilde est née.
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Que faire d’une boussole à part regarder son aiguille un peu inquiétante qui parle de pôle nord, de pôle sud et de fuseaux horaires qu’on ne voit pas. Elle a fait partie des objets que les enfants n’avaient pas le droit de toucher sans permission. Un outil pour l’aventure et le désir de se perdre un peu pour mieux se retrouver dans les endroits apprivoisés. Mathilde comprend aujourd’hui sa forte réticence aux voyages lointains et à ces grands récits de folie errante et conquérante qui accentue la déraison humaine et sa fuite devant certaines responsabilités familiales. Vaut-il mieux être épinglé sur une colline entourée de vignes ou déporté dans le baraquement ignoble d’un camp de concentration allemand en déroute ? Ne vaut-il pas mieux ne pas se laisser azimuter par ces frénésies de bougeotte et plutôt savoir habiter le plus sereinement possible un lopin de convivialité, où règne la cordialité, la solidarité et le sens de l’accueil ? Puisque Mathilde sait d’où elle vient, elle a de moins en moins de mal à exprimer son besoin de sédentarité volontaire et de maison solide où la lumière et la tendresse entrent et sortent librement. Les endroits glauques à la Cendrars ne l’attirent absolument pas malgré la faconde de la langue. Parler « d’idioties nègres » ne passe plus aujourd’hui… Voyager pour piller, asservir… violenter et violer, dominer et mépriser est-il acceptable ?
BONUS : Etat des lieux : cassés de l’est – stressés de l’ouest – rusés du nord – usés du sud…. Bernard LAVILLIERS. https://www.youtube.com/watch?v=qUfmcJKoB1o
La première partie de votre texte a coulé sur moi comme une mémoire.
Merci Marie Thérèse
belle façon de traiter sans traiter ostensiblement… et belle conclusion
retrouver ta Mathilde
et surtout le portrait somptueux du grand-père dans son costume, ses savonnettes et son luxe, les papiers à en-tête !