marches interminables dans la forêt on dit que s’y cachent près de l’eau des animaux aussi minuscules qu’étranges mais il n’en a jamais rien su survoleur de canopée voyeur de haut de la forêt il ne sait que le sommet du sol il n’est intéressé que par le vide la jachère le déboisé où peuvent se poser les hommes accrochés sous leur toile blanche … il revoit ce groupe au milieu de champs verts près des villas abandonnées cinq six et elle il allait en entendre parler quelques mois plus tard comment s’appelait elle et le copain qui se vantait de coucher avec elle il ne disait pas grand chose celui-là quelques mots par ci par là pour montrer qu’il devenait adulte plus vite que nous et je crois que c’était vrai les marches interminables la canopée les lémuriens il s’en foutait il grandissait il préparait l’ailleurs ici c’était fini tout le monde plie bagage nous le savions
c’était juste au début il s’en voulait de l’avoir emmenée ici après cette putain de guerre. Quand au sommet la route s’est rabattue sur les rizières à perte de vue et qu’un soupir de surprise lui a échappé, le repos a commencé, la nostalgie de sombres forêts de pins, de fêtes de famille fantasmées, de communion des neveux s’est éloignée, elle a regardé des terrasses vertes la douce précision des courbes et pendant deux jours s’est sentie à sa place ici. Lui il a pensé à ce qu’on lui avait pris de vie depuis tant et qu’il pouvait le retrouver ici. La semaine suivante, revenus à la ville, ils sont allés voir West side story, elle cette histoire new-yorkaise l’a emportée dans un ailleurs où elle préférerait être ; quand elle croisera l’instit elle lui demandera ce que les enfants de son école comprennent à ça, s’ils se rendent compte qu’ils vivent sur la même planète, qu’ils ont le même âge qu’eux.
la route devant la maison va de la ville à l’aéroport, nord sud. Tout ce qui arrive d’important passe par là, beaucoup de bruit et pour les gosses limite de leur terrain de jeu. Parfois le soir ils sont rouges maquillés de poussière latérite qui couvre tout. L’instit habite un peu plus bas vers la rizière, sur la petite place ils pilent et trient le riz. Un jour le cortège de l’empereur d’Ethiopie s’est arrêté un peu plus haut là où il y a une vue sur la plaine et des boutiques qui vendent des petits tableaux et des tissus brodés, un magicien y peint des oiseaux, leur donne relief et vie, il a réussi à en glisser un dans la main de l’empereur. Haïlé Selassié Negus Roi des Rois descendant de la reine de Sabah idole de rastafaris à l’autre bout du monde — mais ça ils ne le savent pas — est reparti à Addis Abeba avec un oiseau de leur magicien.
cinq jours de congé pour la fête de l’indépendance elle a accompagné ses élèves dans la petite ville au nord. Ce voyage ça fait un moment qu’elle le prépare, il a fallu trouver l’argent, la plupart ne mangent pas à leur faim alors prendre le car pour aller loin de la maison … sur la route un convoi lent de bœufs à bosse qui tirent des charrettes à côté desquelles courent des enfants les a bloqués, puis des pousse pousse que des hommes tirent dans des côtes insurmontables. Des femmes pilent du riz dans la cour du bâtiment où ils logent. Leurs mères usent aussi leur vies à ça en ville pour un maigre salaire, ici on entend plus clairement le bruit lancinant du pilon.
un texte comme un voyage. Je découvre le chantier, un régal. Merci
Merci Françoise, je ne sais pas trop où j’en suis de cette histoire ni si il y a une histoire. Chantier me parait le bon mot.
On est un peu perdu, mais j’aime bien. Ton écriture change, on découvre autre chose.
Perdue, Danièle ? Pas autant que moi, ça va et vient, ça tangue mais j’ai vu au dernier zoom que tu as fait une histoire avec ces textes de bric et de broc. Bravo.
comme elle devant West SIde Story
Merci Brigitte. C’est un film qui avait remué toute une génération.
Oui, on se laisse emporter vers quelque chose, avec elle, sans savoir exactement où l’on va mais cela n’est pas grave, on se laisse emmener.
Merci Clarence.