Ouest
En arrivant par la route de F. la première fois, c’était l’hiver, j’ai senti fort le vent. À quitter la voiture et à remonter vers les bâtiments, ça bousculait sur la butte dans le grand châtaignier, ça crissait craquait hurlait dans sa couronne nue. D’après mon expérience ça ressemblait à un vent du Nord. En l’absence de repères et sous couverture nuageuse bouchant l’accès au ciel, j’étais dans l’erreur. Ce vent humide et solide portait en lui l’océan. Il venait de l’ouest, il m’indiquait le cap des îles de Charente et autres îles au large, il me faisait entendre le cri des sternes et des mouettes rieuses à pattes rouges avec la petite tache sous l’œil, le genre d’images qui me reconduisaient en arrière dans le temps vers des paysages adorés. Ici pleine campagne, bosquets et terres de granit gris perlé de mica noir, pierres dressées en harmonie et dans le même sens. Ici pas question de mouettes remontant par le cours des rivières et des fleuves, seul le ressenti des grands élans de tempête filant sans obstacle depuis la côte et sculptant les haies du domaine sur son flanc gauche. J’ai eu vite fait de remettre l’ouest à sa place.
Est
Déjà évoqué cette parcelle en taillis de plus de six mille mètres carrés mentionnée dans l’acte de vente — le mot taillis réservé aux surfaces abandonnées à la régénérescence des arbres et à la naissance des champignons. La parcelle se situe au cœur du vaste relief arrondi qui marque l’Est et s’étend largement autour du château d’eau. Une piste forestière la borde et dessert d’autres parcelles de même nature qui appartiennent aux fermes environnantes. Dressé tout en haut, le château tient lieu de repère quand on voyage dans le pays.
Sud
Je n’ai encore aucune connaissance des bourgs situés en direction du Sud. Ils ont des noms aux sonorités occitanes, attestant d’un lien clair avec les zones méridionales, lien établi depuis longtemps à travers les coutumes et les langues pratiquées. Par là-bas existent des zones peu fréquentées, des plateaux déserts enneigés l’hiver. Nombreuses forêts sombres et riches en faune et en flore. Le matin et le soir j’épie les lumières qui prennent naissance en ces horizons ignorés. Septembre bat son plein et la courbe de la lumière encore puissante à midi se porte vers ces régions douces, vers ces collines presque molletonnées tant l’herbe est épaisse et soyeuse. C’est là que les bêtes paissent, têtes et corps orientées vers l’air tiède, conduisant leurs ruminements incessants.
Nord
Le jour de mon arrivée, j’ai donc pris l’ouest pour le nord. L’inclinaison de la lumière ne me racontait pas la même histoire que le vent, cause de défaillance de mon système personnel d’orientation, et cet univers pour une autre vie n’avait pas encore révélé sa position. Le bâtiment principal ressemble à une longère orientée Est-Ouest ou presque, possède un flanc Sud et un flanc Nord, une vérité désormais bien établie. Et c’est sur le flanc Nord que s’ouvre le fameux ravin où avait basculé la remorque qu’il avait fallu tirer avec plusieurs chevaux et force d’hommes pour les guider. La pente est bien plus marquée, nombreux arbres robustes et fouillis végétal développé jusqu’aux sources nichées au plus creux, rendant le passage difficile. Peut-être qu’on y remarque encore des sortes de sillons, marques laissées il y a longtemps par les roues de charrette dans le terrain durci d’hiver, sortes de souvenirs fossiles. Le flanc Nord ne se livre pas facilement. Le flanc Nord s’éveille et ne s’offre qu’au plus fort de l’été à qui l’observe, le reste du temps il est assez périlleux de s’y aventurer.
Photographie, ©Françoise Renaud – campagne 2023
Des ambiances totalement différentes dans ce texte aux multiples évocations. Ça fourmille d’idées. Merci Françoise
oui une proposition tellement riche
j’ai senti que je pouvais développer beaucoup plus encore, que ça pouvait être un moyen de rentrer dans le cadre
merci de ton passage, Elise
Merci Françoise pour ce texte tout en paysages. Bonne journée.
Je me dis que pour faire le raccord s’il y a lieu ça risque d’être un peu coton – par la face nord peut-être.. :*)) très joli en tout cas j’ai trouvé
ah oui ça tu as raison, faut s’y retrouver !
je ne sais pas par quel chemin il vaut mieux passer pour trouver l’entrée, faire le tour par le Nord, oui !!
merci Piero
te souhaite de garder en toi les sternes et les taillis, les traces des roues des charrettes du nord et de partir à la découverte de celles du sud
Je découvre ce texte sans avoir tout lu des propositions précédentes. Me croyais située dans aujourd’hui… Puis à la fin les chevaux à la rescousse. Me serais-je trompée ? Bref pour aujourd’hui ou hier ou un mélange des deux cela fonctionne superbement. Très beau, on y est, on vit les lieux.
Évidemment ça puise dans des textes précédents, donc certains que tu n’as pas lus
La présence des chevaux vient de la proposition #8bis https://www.tierslivre.net/ateliers/ete2023-08bis-remorquage/
Te répondre aussi que le roman serait constitué d’un présent, celui de l’auteur personnage qui écrit le livre (donc le JE qui revient souvent et qui serait une femme), et d’un passé, celui de la femme apparue dans la cuisine née entre les deux guerres sans doute (enfin, je n’ai pas encore assez finement précisé la date…)
merci Anne pour ta lecture…
Superbe texte organique, irrigué de nature avec ses mystères, ses dangers, sa douceur, ses bêtes… et grand plaisir à retrouver l’inextricable taillis…
j’aime tellement que tu prononces le mot « organique »
c’est ce que je ressens aussi à y penser, envie de l’enrichir encore, de le développer dans ce sens
et toutes les choses qui prennent place les unes par rapport aux autres…
« Le jour de mon arrivée, j’ai donc pris l’ouest pour le nord », j’aime énormément cette phrase (ça pourrait faire un titre, tout découlerait de là, ce qu’on tente pour se repérer, ce qu’on construit, et ça bouge, ça tourne sur soi comme quand on oriente différemment une boule à neige)
une belle idée que je pourrais bien prendre au pied de la lettre ! c’est le cas de le dire…
ça pourrait donner un cadre à ce roman
merci merci Christine