Au nord, dans le dos d’Ulysse, il y a la ville de Rimiliari. Une ville où se télescopent les cultures issues de différents horizons. En bordure de la ville, il y a la gare de Rimiliari. Les trains arrivent et partent dans la même direction, depuis et vers le nord. C’est l’arrière-pays, là d’où l’on vient quand on veut aller de l’avant. Sauf si on veut retourner en arrière, si on veut marcher sur ses pas. Si on veut retrouver son passé. Au-delà de la gare, on voit distinctement les hautes tours des immeubles des quartiers périphériques. La banlieue, populaire d’abord, dont les cités s’étirent vers le ciel, plus aisée ensuite. Les oiseaux dans le ciel admirent sous eux comme un carrelage de petits pavillons aux motifs identiques : le petit carré rouge du toit, le petit rectangle bleu de la piscine, les points multicolores des parterres de fleurs, un peu de vert, beaucoup de gris. Derrière, on devine les champs qui changent de couleurs selon les saisons et le lacet des routes qui serpentent. Et puis, enfin, les collines recouvertes des premières forêts obscurcissent l’horizon. Avant d’autres villes, d’autres banlieues, d’autres champs, d’autres forêts. D’autres collines. Traversant ces paysages répétitifs, la voie ferrée figure l’aiguille d’une immense seringue qui injecte au port son lot de rêveurs à la migration vers le sud, vers l’outre-mer ou, tout au contraire, qui rapatrie au coeur terrien, les âmes à l’abandon. Pour les gens d’ici, le nord n’est pas d’avenir, il est de passé. Il est d’hier, il est de ce qui reste derrière la porte pour ceux qui partent. Pour les gens d’ici, le nord n’est pas d’avenir mais il peut être de triste présent pour ceux qui rebroussent chemin, ceux qui reviennent en arrière. Mais pour les gens qui ne sont pas d’ici, le nord peut être un oasis. Pour ceux qui viennent du sud, d’au-delà des mers, et qui arrivent ici épuisés, le port de Rimiliari représente une part du rêve, et sa gare une porte d’entrée vers une autre vie.
Devant les yeux d’Ulysse, la mer occupe tout l’horizon. Le sud, c’est la mer. Le sud, c’est le rêve, c’est l’ailleurs, c’est la promesse d’une autre vie. L’ailleurs est toujours la promesse d’une autre vie pour qui veut l’atteindre. Il se trouve, dans les nuées de brume effaçant la droite ligne qui sépare la mer du ciel, la matière d’une existence à imaginer. Il se trouve, tout au sud, un endroit où les rêveurs ont leur place, un espace taillé à leur exacte mesure. Ulysse le croit mais il n’est pas le seul. Et quand bien même ce lieu est une utopie, le seul fait d’y croire annonce les prémices du changement. Mais la mer peut aussi engloutir plus que les rêves, elle peut avaler les vies. Quelle part, à l’autre bout de la mer, les cadavres des rêveurs noyés s’échouent sur les plages des stations touristiques.
Entre les deux, entre le nord et le sud, entre la terre et la mer, la frontière des éléments s’étend à l’est comme à l’ouest. C’est le territoire des indécis, la terre des crevettes, la mer des cloportes. Sur le bord de mer, un monde vit en équilibre comme s’il se trouvait sur une corde à linge et qu’il devait passer l’essentiel de son existence à éviter de tomber. Côté mer ou côté terre. À l’est, les funambules du soleil levant vénèrent le jour naissant et s’adonnent à son culte dans la plus grande religiosité. À l’ouest, les démoniaques équilibristes adorateurs de la nuit jouent du feu, pour ne pas avoir à choisir entre la terre et la mer.
Et au milieu, Ulysse se demande encore quelle direction il va prendre.
touchée par votre texte. j’aime particulièrement le troisième paragraphe.
« C’est le territoire des indécis, la terre des crevettes, la mer des cloportes. Sur le bord de mer, un monde vit en équilibre comme s’il se trouvait sur une corde à linge et qu’il devait passer l’essentiel de son existence à éviter de tomber. » C’est très beau et cela éclaire la chute. Merci
Merci Françoise. Je ne sais pas encore comment utiliser ce texte mais ce troisième paragraphe met en lumière un lieu que j’ai envie d’explorer. Merci encore.