#été2023 #12 | La mini V2

Codicille: j'ai associé deux chapitres, pour que cela soit compréhensible, le monologue est dans le second. Ce texte prend un étrange chemin, je ne sais pas si je suis de la bonne espèce.

Mes dames

Elle avait mis sa veste, elle se regardait dans le miroir. Il était debout derrière elle, il lui a demandé où elle allait.
Elle lui a rappelé qu’elle allait au siège de l’association pour assurer quelques heures de permanence, elle a ajouté qu’il avait dans le frigidaire de quoi dîner sans elle, elle a listé les aliments à sa disposition, puis elle l’a embrassé sur la joue et elle a ouvert la porte, il est parti écrire une vie, elle est partie au local à vélo. Les locaux de l’association d’aides aux femmes victimes de violence étaient installés au rez-de-chaussée d’un petit immeuble en pierre de taille à deux étages près du vieux marché. Un ancien appartement de deux pièces prêté par une des fondatrices de cette succursale. Elle attendait assise derrière un bureau, le téléphone portable de l’association devant elle. Elle avait eu un appel, malgré la formation qu’elle avait reçue, à la sonnerie de l’appareil, son cœur accéléré. Elle savait que les premiers mots étaient essentiels, que le ton de sa voix devait apaiser et rassurer, qu’elle devait laisser l’interlocutrice piloter la conversation, les mots devaient venir de ces femmes maltraitées. La jeune femme qu’elle avait eue en ligne avait dit qu’elle passerait peut-être en fin de journée, il restait quelques minutes avant qu’elle ferme qu’en elle a entendu frappé à la porte. Elle est allée ouvrir, devant elle, une jeune fille aux cheveux ras la fixait.
— Bonjour, c’est pourquoi ?
— J’ai appelé tout à l’heure. Entrez.
Elle l’a laissé passer devant elle, et lui a indiqué une pièce avec son bras. La jeune fille portait une chemise ample, un jean troué et une paire de baskets colorés, sur son crâne, on devinait à travers les cheveux qui repoussaient quelques éraflures. Face à face, elles sont restées silencieuses quelques instants. La jeune femme a dit :
— J’aimerais en savoir plus, comment vous aidez les femmes, ce que vous faites, à quoi vous servez.
— Oui. L’association existe depuis quinze ans, nous accompagnons et aidons les femmes victimes de violence, éventuellement on les assiste dans leurs démarches avec l’administration, pour le relogement ou des demandes d’aides, pour les plaintes aussi et…
— Mais vous faites quoi pour que ça change?
— C’est-à-dire ?
— Qu’est-ce que vous faites pour que les hommes changent ?
— Je ne comprends pas ?
— Pour qu’ils ne nous traitent pas comme du bétail, comme des êtres inférieurs.
— Ce n’est pas notre rôle, notre rôle est d’aider et de soutenir les victimes de violences, c’est à la société de changer et tous les hommes ne sont pas des monstres, vous savez, loin de là.
— La société c’est vous. Vous ne servez à rien alors. Comment vous assurez-vous que la justice soit faite, qu’ils payent ?
Comment vous les réparez ces tarés ?
Elle avait dit cette dernière phrase presque en criant, puis elle s’était reprise.
— On ne fait pas partie du système judiciaire, mais si vous avez besoin d’aide, on est là. Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Je vous écoute, je suis là pour vous. Je suis mère, vous savez, j’ai un fils.
— Non merci. Je n’ai pas besoin de votre aide.
La jeune femme s’est levée et elle est sortie, elle a dit une phrase en passant par la porte dans laquelle elle venait de donner un coup de pied, les seuls mots compréhensibles étaient : ces bâtards.

La mini

– Tu crois qu’elle va me pardonner ?
– Mais oui, c’était pour son bien et on lui fait un beau cadeau.
Il a pris l’escalier en bois et il a frappé à la porte de son territoire, face à lui un sens interdit était collé sur la porte. Elle a ouvert, elle restait dans le passage pour l’empêcher d’entrer.
– Qu’est-ce que tu veux ?
– On peut discuter cinq minutes ?
– Pour dire quoi ?
– Je voudrais m’excuser.
– C’est tout.
– Tu as ton permis, je me suis dit…
– Tu t’es dit quoi ?
– Ta mère reçoit sa nouvelle voiture la semaine prochaine, sa mini, je te la donne.
– Et ?
– C’est tout, c’est un beau cadeau, tu sais combien elle vaut en l’état.
– Salut.
Il est resté devant la porte, il a réfréné sa colère qui montait, il s’est dit que ce n’était pas le moment de lui dire qu’elle avait beaucoup de chance, mais il lui dirait ; il le savait.
Elle était revenue derrière son écran, des larmes venaient au coin de ses yeux, elle les a retenus, elle a choisi sur Deezer un morceau de rock violent, une musique qui semblait écrite pour sa rage, elle a monté le son au maximum pour couvrir ses pensées et elle a fait défiler des pages sur le net :
« L’actualité en continu », celle de leur monde, qu’est-ce qu’en j’en ai à foutre, c’est quoi ce monde, qu’il crève. Qu’ils crèvent tous. Regarde le bordel qu’il a sur son bureau, non, lui il doit vivre. Il est différent. Je revois cette vieille qui pense bien faire, nous on est là pour vous aider, mais moi je n’ai pas besoin d’aide, c’est eux qui ont besoin d’aide, elle n’a rien compris, elles n’ont rien compris avec leur association. /Baiser forcé: le tribunal du sport espagnol ouvre une procédure pour faute grave contre Luis Rubiales/ .Et moi j’y croyais, je pensais trouver des guerrières et je trouve des tricoteuses, quelle conne je suis. Elles sont trop bien dressées, elles ne perçoivent même plus qu’elles ont des œillères, elles me font de la peine, j’ai l’impression de voir des animaux de cirque, regardez la lionne, abracadabra, elle est devenue chèvre. Ma mère, elle, elle avec une belle maison, une belle voiture, elle pense avoir réussi sa vie, je n’arrive pas à la détesté, mais j’aime bien aussi notre chatte, laquelle a une vie digne d’être vécue, je n’ai même pas la réponse, les deux sont heureuses d’avoir un abri confortable, un lieu où elles sont appréciées, nourries, elle est mère, amie, femme, elle n’a que des petits soucis quotidiens, je crois qu’elle aurait voulu que ni moi, ni mon frère ne rentrions au collège, pour elle c’était le début de la fin, à ce moment-là elle est restée sur le bas-côté de nos vies, elle fait semblant de ne pas voir les yeux rouges de Matéo quand il descend  manger, de ne pas voir sa tête dans le cul au petit déjeuner, mais oui maman, ton fils fume des joints depuis un an tous les jours, je lui ai dit moi, que c’était une connerie, que la vie méritait d’être vécue, qu’il devait se bouger, arrêter, mais toi et lui vous ne voyez rien, non vous voyez, mais c’est plus simple, le problème n’existe pas tant qu’il n’est pas nommé, ton mari, c’est la même chose, il te méprise, il ne te frappe pas, il ne t’insulte pas, c’est vrai, mais il nous a bien expliqué depuis notre naissance que tout ce qu’on avait c’était grâce à lui, tu as fait quoi pour empêcher ça, des études pendant dix ans et puis encore des études, et la bouteille pour supporter le regard des autres, parce que l’image que te renvoient les autres tu ne la supportes pas, en vrai quand tu es bourrée, maman, c’est là que je t’aime encore, il y a une part de toi que je vois à ce moment, une part maladroite, sensible, je devine celle que tu aurais pu être, si tu t‘étais battue, ivre tu es la meilleure version de toi depuis des années, cette version que j’ai connue, tu te souviens les promenades au parc, on ne faisait rien d’extraordinaire, on ne faisait rien, on marchait juste toutes les deux, main dans la main en discutant de politique, de peinture, de basket, tu as joué au basket, toi, l’épave d’aujourd’hui, pourquoi tu es devenu cette femme échouée sur cette plage boueuse, / En Allemagne, l’abandon des poursuites contre le chanteur du groupe Rammstein laisse un goût amer. Till Lindemann avait été mis en cause mi-juin par plusieurs femmes pour des agressions sexuelles en marge des concerts./ je ne sais pas s’il est le seul responsable, mais je ne veux pas de ça, ce monde n’a rien à m’offrir, et ton fils, ton fils attend plus que ce que vous lui donnez, maintenant j’ai compris, je prends ce que j’ai à prendre, pour le reste vous n’exister plus, comment tu as pu le laisser faire, je ne t’ai même pas entendu, tu ne m’en as même pas parlé, tu m’as juste acheté une casquette des Lakers, une casquette, tu m’as acheté une saloperie de casquette, tu es devenu ça, tu te tends compte, non tu ne te rends compte de rien ma pauvre vieille, / Un apéro avec Hoshi: « j’ai même failli abandonner la chanson » A 26 ans, la chanteuse au chignon nippon, qui sort «  cœur parapluie » son troisième album, a déjà le palpitant bien amoché. Elle se remet doucement des attaques sur son physique et son homosexualité, et des campagnes de cyberharcèlement qui l’ont submergée./lui il est perdu depuis longtemps, il nous a quittés il y a longtemps, est-ce qu’il a été là, vraiment, tu nous emmenais en vacances, il nous rejoignait pour trois semaines, tous les soirs apéro avec les amis, des gens comme vous, tous les soirs tu étais bourrée, le reste de l’année, il était invisible, je crois que j’ai eu plus d’attention de la part de certains profs que de lui, je m’en moque maintenant, j’avance à ma façon, je veux changer tout ça, je ne peux pas regarder ma vie passer comme une vache regarde le train, je l’aurai peut-être fait si vous n’aviez pas fait ça, parce que, t’es autant coupable que lui, je devrais vous dire merci, dans ce monde que vous nous vendez, on doit dire merci aux coups durs, ils nous ouvrent les yeux, c’est une machine à malheur que vous entretenez, tous les matins bien docilement vous alimentez les fourneaux comme tous ceux de votre espèce, de vos espèces, parce qu’il y a le groupe des vaches et celui des gloutons, tu sais ce petit animal vorace, la terreur des trappeurs, cette saleté de bestiole qui ne te lâche jamais, s’il veut te bouffer, tu peux déjà entendre le bruit de ses mâchoires sur tes os, de temps en temps le glouton offre un cadeau à la vache, elle beugle de plaisir ou elle fait semblant, c’est ta vie, c’est sa vie, j’espère juste que vous souffrez autant que moi, je crois que si je vivais ta vie, moi ici je m’évaderais, d’une certaine façon tu es plus lucide que la vieille, ce monde il faut le fuir ou se battre contre, moi je vais essayer de sauver une vache, c’est déjà beaucoup, / Assassinée. Mère de famille, elle avait porté plainte contre le suspect…/

L’album

Il savait quelle heure il était, ce silence, la durée de son sommeil, le bruit de sa femme à côté, tout cela était précis. Il écarte la couette et s’assoit au bord du lit et cherche avec ses pieds ses pantoufles, il prend son pyjama sur la chaise et il sort. Il peut aller jusqu’à la cuisine sans n’y rien voir, il allume la lumière et il enfile son pyjama. Il fait un café à la machine, il repousse la porte, pour éviter que le bruit ne la réveille, et il emporte sa tasse au salon. Il pose la tasse sur la table, et avant de s’asseoir va chercher l’album photo qu’elle a caché dans le bas du meuble derrière les boîtes de carte postale. Il l’ouvre, doucement, il connaît chaque photo, il les regarde depuis des mois. Il est presque sûr qu’elle s’est rendu compte qu’il avait trouvé sa cachette. Pourtant elle ne lui a rien dit, elle ne lui a pas craché sa peine au visage. Il était beau à cet âge-là, c’est la plus belle chose que j’ai faite de ma vie, et je l’ai bousillé par orgueil, par bêtise. On ne peut pas effacer les phrases dites, on les traîne comme un boulet de prisonnier, j’en crève de ces phrases. Les mots que j’ai tant aimés, que j’ai tant vantés aux enfants, les livres, la poésie. Ça, j’en ai fait la promo, j’ai été un VRP de compétition. Je ne pouvais pas m’en empêcher à chaque occasion devant des vieux, des jeunes, des tout petits, lisez, écrivez, déclamez. J’avais mon église, la littérature, j’aurais pu me battre pour elle. Je l’ai servi, pendant cinquante ans. J’étais un pur, j’envoyais aux enfers, le reste, le cinéma, la musique, rien n’avait de valeur, sauf la littérature. Et toi mon fils, je t’ai rejeté et quand tu es parti, je n’ai rien dit, pas un mot, je t’ai regardé enfilé ta veste, prendre ton sac, ta mère était convaincue que j’allai te retenir, mais non, j’étais encore dans la peau du juste, les mots m’avaient abandonné. C’est presque drôle, tu vois que je pleure de ma bêtise. Si tu savais ce que je pense des livres aujourd’hui, tu ne le croirais pas. Ce soir là, je n’ai rien compris, pendant des mois je suis resté le même, et puis un soir je suis allé dans ta chambre, j’étais dans la lune, ta mère à dit à table, alors comme d’habitude je suis allé te prévenir, et j’ai vu la poussière sur ta commode, la poussière sur le sol, la poussière sur mes yeux, j’étais un vieux qui était passé à côté de toi sans te voir. Moi le professeur, celui qui sait, je n’avais pas vu mon fils. Comment ta mère a pu rester avec moi, elle aurait pu me torturer tous les jours, elle ne l’a pas fait, elle a eu pitié de moi. Je ne le méritais pas. Tu verrais le salon, j’ai donné tous mes livres, je n’ai pas pu les brûler, après j’ai travaillé encore quelques années, j’ai plus écouté les enfants que je ne leur ai parlé. Ça fait six ans que je suis à la retraite, depuis un an j’écris la vie des autres, comme ça gratuitement, je reviens aux mots, pas pour moi, pour eux, j’essaie de les donner. C’est un peu bizarre, j’essaie de leur montrer leur vie pour qu’ils ne fassent pas la même erreur que moi, tu vois, je reste un prof, je veux apprendre aux autres à ne pas faire mes erreurs. J’espère que tu vas bien, que toutes ces années ont été heureuses, tu aurais au moins pu contacter ta mère, moi je comprends, mais elle, elle t’a toujours défendu. Je l’aurais vu si tu l’avais contacté. Des fois elle me dit qu’elle sent que tu es heureux, je la crois, elle en sait plus que moi sur la vie. Elle va se lever dans cinq minutes, je vais ranger notre album, je te verrai demain.

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.

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