Même pô relue en entier. Même pô remaniée, à peine corrigé un « tout » en « tous ». Même pô honte. Conclusion d’un mémoire. Conclusions des mémoires. En l’état.
Conclusions
Nous avons vu dans l’introduction que l’éditeur de l’édition de l’ouvrage choisie pour cette étude, Michael De-La-Noy, précisait qu’il avait fait de son mieux pour rétablir une chronologie qui, de son point de vue, permettait une lecture récréative du Journal d’un écrivain considéré tour à tour comme génial ou comme limité par sa quête intérieure, que ce soit à l’époque de l’auteur ou dans des réceptions plus proches de nous. Pour pouvoir étudier le texte de cet ouvrage particulier, en dehors de ces perspectives et pour tenter d’en dégager une stratégie d’écriture, le but de cette étude était donc de reprendre le travail à zéro, en se posant la question de l’objet-livre en lui-même, puis de sa composition et enfin de livrer une analyse particulière d’une série d’entrées qui semblait faire système, et ce que l’auteur en ait eu conscience ou non au moment de l’écriture. Ce que cette étude essaye de mettre en lumière plus précisément c’est que l’horizon d’attente du lecteur est constamment questionné si la lecture se fait dans l’ordre, et non pas récréativement comme le préconisait Michael De-La-Noy. Encore que sans son travail, nous n’aurions pas eu autant de matériel à étudier, il est évident que son travail de chargé d’édition n’est pas à remettre en question. L’idée n’est donc pas de s’inscrire contre quelque éditeur que ce soit, mais bien de proposer une autre lecture, une autre expérience comme développée dans cette étude. La première fois que j’ai eu ce Journal entre les mains, je me suis littéralement jetée sur l’entrée la plus proche de la déclaration française de la fin de la deuxième guerre mondiale, c’est-à-dire celle du 9 mai 1945. Après une première lecture, je n’ai pas pu identifier mon ressenti exactement tant il était mêlé de contradictions. Mais à l’image du poisson qui mord à l’hameçon, j’étais piégée, et ce pour mon plus grand plaisir. C’était il y a 4 ans et je termine aujourd’hui un cycle de lecture en repartant du point de départ de celle-ci pour exprimer tout ce que j’ai pu expérimenter depuis à la lecture, puis à l’étude, de cet ouvrage particulier. Car que vient chercher un lecteur dans le journal d’un écrivain ? Quel est son horizon d’attente ? L’anecdote d’un artiste qu’on aime ou qu’on déteste, la confirmation que la vie d’un artiste a son lot quotidien de tracas et autres, la confirmation du statut de l’artiste, sait-il réellement sublimer chaque instant de sa vie, etc. Dans le cas de Welch, le parallèle entre une situation géopolitique précise et la période de rédaction de son Journal peut amener des lecteurs d’horizon très différent. Ce qui n’est pas remis en cause dans tous ces horizons d’attente, c’est la valeur de témoignage, de réalité et plus encore dans le cas de Welch dont est vanté sa quête de sincérité. En d’autres termes, quand on ouvre le Journal de Denton Welch pour la première fois, c’est cet autre que soi, ce res, que l’on vient chercher.
9 May
So yesterday was Victory Day. A feeling of uneasiness all the time and wondering what to do, because I had been silly enough not to shut myself up in the morning.
L’Histoire résumée en une phrase : so yesterday was victory day. Pour le moins laconique, cette phrase provoque un malaise immédiat à sa lecture. Comme si l’auteur s’adressait directement au lecteur en lui disant : voilà ce que tu es venu chercher, es-tusatisfait ? Et la suite n’est pas faite pour effacer ce malaise, bien au contraire, mais pour le creuser justement : A feeling of uneasiness all the time and wondering what to do, because I had been silly enough not to shut myself up in the morning. En 3 lignes le lecteur est plongé dans l’écriture de Welch, dans ce qui fait sa spécificité, il semble être atemporel et s’adresser directement au lecteur. La question de savoir s’il était conscient, inconscient, ou ni l’un ni l’autre au moment de l’écriture peut être posée aujourd’hui grâce aux avancées des neurosciences et serait une recherche qui nécessiterait à elle seule une thèse entière. Disons pour l’heure qu’il semble répondre à l’équation surréaliste que nous posions dans l’introduction à travers la citation d’André Breton :
Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire.
Car c’est bien l’état mental du lecteur dont il est question ici au moment même de la lecture. Ce que cette étude tente de démontrer c’est qu’il y a dans la recherche de sincérité de Welch quelque chose qui fait écho quel que soit le lecteur, pourvu qu’il ait une bonne maîtrise de la langue anglaise. Reprenons la suite de l’entrée du 9 mai :
There we were sitting in May’s garden. I was doing the dolls’ house. (Did I say that in the kitchen, while I was scraping a block of wood on the right of the fireplace, I came across the initials M.J.D. and the date 1783 under a coat of paint? It was charmingly done in two shades of grey paint and black.).
Lors de ma première lecture, la date 1783 effaçait littéralement le reste du texte. Sur mon propre écran mental les deux dates, 9 mai 1945 et 1783 étaient inscrites et rien d’autre. J’étais « illuminée » par ces deux dates. Et tout le reste des signes du texte ne devenaient que des fils très fins reliant ces deux dates. Comme un mystère à découvrir, une énigme à résoudre. A tel point que j’ai passé les quatre années suivantes bloquée sur ces dates. Je ne pensais qu’à elles et à ces fils les reliant. Il aura fallu attendre qu’un enseignant me donne un conseil finalement assez rudimentaire pour que je réussisse à sortir de cette illumination et que j’accepte d’aller visiter les autres pièces de la maison de poupées que Welch avait écrite. Car il apparait aujourd’hui évident que ce Journal est structuré de manière particulière. Et l’intérêt d’une étude aujourd’hui est devenue évidente au cours de celle-ci. Cela faisait 4 ans que j’avais le livre à côté de moi, et ce n’est qu’après ce conseil que j’ai pensé à scanner le livre. Pour sortir le texte des différentes éditions disponibles, puis pour lui rendre sa propre matérialité et ainsi pouvoir le travailler. Ce qui est possible aujourd’hui sans que cela ne demande des mois d’efforts. C’est bien la possibilité de « matérialiser » le texte individuellement qui est en jeu ici. Et bien sûr cette méthode peut ne pas s’arrêter au Journal de Denton Welch. Ainsi, et pour faire un parallèle avec l’entrée en cours d’étude, le texte en version informatique m’a permis de me mettre dans la peau de Welch rénovant la Doll’s House. Et ainsi de sortir de l’illumination de ma première lecture. Revenons-en à l’entrée :
Well, I was puttying up holes and cracks in the walls and sticking things, and thinking of the excitingness of finding the date a few days before; and May brought her lunch out and we undid our picnic.
Ce simple passage résumé parfaitement mon expérience d’étude de ce Journal. C’est l’effet Welch. Vous lisez, vous étudiez, vous creusez, vous pensez avoir enfin démonter le mécanisme et avoir pris le contrôle sur votre lecture, vous en êtes à la conclusion d’une étude qui vous tient depuis 4 ans…et le narrateur vous nargue en résumant tout votre travail en quelques lignes écrites plus de 50 ans avant ce moment précis. A few days before se transforme automatiquement en quelques années, et tout votre travail, tous ces efforts de mise à distance semblent réduits à leur partie congrue : le fait que ce texte a été écrit bien avant que vous arriviez vous-même à cette conclusion sur votre propre lecture.
Pour une recherche académique, cet auteur pose donc le problème de la place du chercheur. Car la projection est inévitable, c’est même l’objet de cette étude. Or pour toute démonstration scientifique, un minimum d’objectivité est requis afin de réussir à infirmer ou confirmer telle ou telle perspective sur l’objet d’étude. La résolution de l’équation surréaliste, si elle est possible, ne l’est qu’individuellement. Par la prise de conscience de l’intériorité de ses moyens de perceptions et de la limitation de la connaissance de ce qu’est la réalité. Par l’acceptation de cette limitation se produit alors paradoxalement une libération de l’imaginaire qui mène au réel individuel. La réalité cesse d’être figée et les possibles se révèlent à chacun. Ceci est intéressant d’un point de vue littéraire, mais pas seulement. Des nos jours les dernières recherches en neurosciences permettent de tenter l’aventure de la démonstration de ces phénomènes. Et c’est ce que je propose de faire dans un travail plus conséquent sur cet auteur. Car si la réalité n’est pas, la frontière entre fiction et non-fiction devient caduque. Et c’est tout un territoire de recherche qui s’ouvre alors, sur les terres de cette perspective classique.
Il y a, comme cela a été démontré dans ce mémoire, des stratégies d’écriture qui font écho à certaines stratégies de lecture. Ce qui rend Welch si ultra-moderne, c’est le rapport d’aujourd’hui de l’individu avec la réalité justement. Nous sommes aujourd’hui beaucoup moins naïfs, comme éduqués au cynisme d’une réalité que nous savons parfaitement faussement relatée par les écrans qui pour autant conservent leur attrait. Le rapport à la réalité aujourd’hui est complètement dévoilé, sa construction est transparente à un utilisateur d’internet, de réseaux sociaux, etc. L’humour de Welch qui hier faisait rire en cercle d’initiés est aujourd’hui accessible à tout un chacun. Mais chez Welch, ce premier voile ne fait que se montrer pour être dévoilée, comme une préparation ou un exercice préparant à soulever d’autres voiles. L’humour a une place importante chez Welch. Mais comme pour tout autre chose chez cet auteur, bien malin qui pourrait dire à quel moment il en a pleinement conscience et à quel moment c’est le réel qui joue de nos lectures. Et c’est peut-être là, dans une redéfinition de cet humour que se joue le plus le lien entre l’auteur et le lecteur. Cette part d’intimité créé par le rire, ce lien entre deux êtres qui permet de briser l’intensité de la solitude de chacun, l’un écrivant l’autre lisant, c’est peut-être par-là que le chemin commence pour le chercheur qui a enfin trouvé la bonne distance entre Soi et le texte. Cette fameuse simultanéité qui est inatteignable par l’exercice du présent, du corps à son environnement, est peut-être atteignable dans la réunion du corps et de l’esprit. Il y a dans toute l’œuvre de Welch un mélange si fin d’innocence et d’expérience qu’à sa lecture la tentation est grande de le qualifier bien autrement de tout autre auteur : un conteur surréaliste ou métalogique. Car de fait, en nous narrant le plus justement possible le cours de sa vie, Welch nous emmène sur le cours de la nôtre et nous permet de repousser les définitions que nous pourrions avoir été tentés de faire, de mettre en évidence tous les raccourcis que nos mémoires empruntent quitte à déformer notre réel pour le rendre digérable. Il nous permet de refaire le lien entre justement notre raison et notre corps. Et ainsi de redécouvrir ce que nous croyions pourtant posséder parfaitement : soi-même.
Cette étude se veut une ébauche du travail considérable encore à faire pour mettre à jour les structures de l’écriture de l’auteur, même s’il n’avait pas conscience de les utiliser au point de les nommer, au sens psychanalytique du terme, il y a finalement assez de traces laissées par l’auteur pour démontrer leur mise en place tout au long de sa courte vie d’écrivain. Et c’est pour cette raison principale qu’il semble nécessaire de conduire cette étude avec cet auteur en particulier : si nous arrivons à mettre à jour ces structures, nous pourrions éventuellement les tester sur d’autres écrits et d’autres écrivains. La trace écrite a toujours eu, dans nos civilisations européennes, une place importante. Nos lois, nos religions, nos testaments sont tous rédigés. Sans mettre en cause cette place, il peut paraitre possible aujourd’hui de s’interroger sur une des révolutions en cours dans nos civilisations et de sa probable incidence sur l’interprétation futur de la trace écrite : l’ordinateur et internet. Ce mouvement, cette cursivité, de l’écriture se perd-elle aujourd’hui ou est-elle en évolution à travers le traitement informatique ? Ainsi ce mémoire est rédigé à l’ordinateur. Quelles traces seront effacés par ce véhicule et quelles traces seront mis en exergue ? C’est la raison pour laquelle pour continuer l’entreprise de cette étude débutée il y a quatre ans, il apparait nécessaire, au sens philosophique du terme c’est-à-dire ce qui ne peut ni être autrement ni ne pas être, d’étudier les manuscrits de l’auteur. Leur disponibilité rend la candidature de Denton Welch pour cette étude incontournable. Et c’est donc ce que je me propose de faire lors de recherches plus avancées, comparer les traces éditées et les traces manuscrites de Denton Welch afin d’y trouver de quoi nourrir la théorie développée dans ce mémoire : il y a des textes qui, dans leur atemporalité, agissent sur l’individuation du lecteur, et permette de transcender la mort en l’acceptant comme quotidienne, et le lecteur l’accepte d’autant mieux qu’au fur et à mesure de sa lecture il comprend qu’il meurt et renait à chaque instant.
Même pô dupe, mais j’adore « l’effet Welch »
JM
Allez, j’ai trois minutes, j’va r’lire çô…merci du pas sage.