Tu n’as jamais retrouvé, dans aucune brocante , les deux livres d’apprentissage qui t’ont permis d’aborder la lecture,en vraie gourmande. Tu les a connus chez « les bonnes soeurs » St Joseph, années 60, dans un petit village du Sud. Pour autant, la coloration des images en noir et rouge aquarellisés sur papier spongieux est restée intacte sur tes rétines. Tu n’as pas attendu chaque leçon du jour pour dévorer les textes, en zappant les exercices, tu les a engloutis de la première à la dernière page dès la première semaine. Tu avais horreur d’avoir à rendre les livres à la fin de l’année scolaire. Impression de privation arbitraire, d’arrachement inique sans recours… Impression pénible de redevenir pauvre et ignare tout d’un coup ! C’est certainement la raison de ta réticence à emprunter des livres en bibliothèque jusqu’à aujourd’hui. Le traumatisme tout relatif d’avoir à les rendre te gâche tout ton plaisir… Avoir des livres à soi. Le Graal ?
Tout s’est joué dans ces années là. Et bien plus encore, dans la découverte émerveillée des illustrations et des histoires qui n’étaient pas du tout la tienne. Tu as tout de suite perçu qu’on passait des histoires enfantines à des histoires d’adultes, essayant d’expliquer la vie des êtres et des objets dans un raisonnement parfait et incontestable.
Chaque mot, chaque phrase, chaque paragraphe, chaque page, rangé.e.s à leur place, constituent l’avantage absolu et le charme de tes livres de classe. Une armoire à tiroirs dans chaque ouvrage et la certitude d’avoir le droit et même le devoir de tout découvrir et de tout comprendre. Lire et relire aura été une source de bonheur perpétuel pour toi dans ces écrins. Certains personnages t’ont littéralement séduite en leurs faits et gestes. Ce n’est beaucoup plus tard que tu as admis que tu n’avais pas eu accès à leurs pensées personnelles. Et pour cause, ils n’étaient que des personnages de fiction, des marionnettes plates inventées par les auteurs ( souvent des hommes) et adoubées par le grand éditeur du moment. La lecture est une affaire sérieuse qui nécessite une confection solide et soignée. Chaque livre est un personnage à lui-seul. Inoubliable. Ta boulimie des images et des mots vient de là. Tu en es convaincue.
Tu l’as déjà dit, l’institutrice a été pour toi mythique mais pas du tout pythique. Malgré la croix au mur, toute l’éducation religieuse et les prières se faisaient en dehors. Une petite ruelle médiévale débouchant directement sur un porche situé à l’arrière de l’école permettait de faire des aller-retour jusqu’au presbytère et parfois à l’église en semaine. Tu n’as plus le souvenir des fréquences de ces incursions religieuses dans vos journées écolières. Elles t’ont semblé vite incongrues et de peu d’intérêt.Tu n’apprenais qu’à rabâcher des dogmes. Tu as vite voulu séparer les temps et les espaces pour ne pas t’encombrer de tous tes doutes sur l’utilité des pratiques dévôtes en vogue et obligatoires. Seul le contenu de l’école t’intéressait. Tu n’as jamais connu l’ennui dans cette période de ta vie.
Tu cherches à retrouver les lignes de son visage, son allure un peu raide de vieille fille soignée et pieuse, ses anneaux de boucles d’oreilles en or, plates et ciselées t’amusaient ; tu les regardais bouger en même temps qu’elle, te demandais s’ils allaient se décrocher un jour. Tu aimais sa voix un peu masculine mais bienveillante qui lestait naturellement son autorité. Tu as admiré Mademoiselle O., si attentive aux conditions de calme dans sa grande classe à plusieurs niveaux , une quarantaine de paires de pieds racleurs sur plancher de lattes brutes et très sonores . Tu te souviens des grandes fenêtres à gauche, des grands posters pédagogiques d’époque, répertoriant les notions à apprendre . Pupitres à encriers de porcelaine,avec banc intégré, tenant deux dos bien droits assis côte à côte. Plus de mixité à partir du CP, une couvée de filles bavardes et rieuses.
Mais il faudra que tu nous parles de Léa, ce personnage de papier qui le premier t’a parlé ouvertement de la mort…
Merci pour tant de souvenirs