Il y avait des piles de journaux sur lesquels maman posait son cendrier. Il y avait les livres de sa jeunesse, des classiques de l’école qu’elle gardait sur la première étagère du secrétaire. Il y avait les livres à colorier, les magazines sur les bébés animaux, les bandes dessinées. Il y avait un dictionnaire, qu’il avait fallu acheter sur ordre du maître et qui servirait à la fratrie. Mais peu de vrais livres. Y plonger alors qu’il y avait tant à faire serait aveu de paresse. Pourtant Roger lisait. Pas en lecteur compulsif ou habituel, non. Mais en butineur, ouvert à tous les champs de la connaissance. Il n’était pas rare qu’il passât l’après-midi à la bibliothèque du quartier, dévorant un essai sur le colonialisme trouvé sur les étagères où il le reposait au moment de partir. Il n’avait jamais emprunté un livre, il ne lisait que sur place. Aussi ne finissait-il que très rarement les ouvrages qu’il consultait. Le rayon poésie avait sa préférence et il commençait habituellement sa promenade en piochant au hasard des étagères un recueil de poésie mapuche ou de chansons de Violeta Parra dont il connaissait la voix claire de la radio. Il fredonnait ses gracias a la vida en se perdant dans les atlas, lisant des vers que Neruda avait écrit pour la Chascona.