On me ressuscite alors que je n’avais rien demandé. On m’imagine petite fille apeurée. On me croit jeune fiancée sentimentale. Mais qu’est-ce qu’on en sait ? Et de quoi on se mêle ? On ne m’a pas connue et c’est tant mieux, je ne veux pas qu’on me connaisse, je veux qu’on me laisse reposer en paix après le travail de toute une vie. Mais voilà, sous prétexte que je suis l’aïeule, l’arrière-grand-mère, on se permet d’inventer n’importe quoi sur moi, comme quoi je me serais acoquinée avec ceux à Jolliet dans la grotte, comme quoi le Gaspard il en aurait pincé pour moi, comme quoi je connaîtrais des mots comme troglodyte, mais qu’est-ce qu’on en sait ? On me peint aventurière, frivole, tête de linotte. On me prête des sentiments que je n’ai jamais eus. On me croit faible. On me veut casse-cou. Je n’ai rien été de cela. J’ai eu une vie tout ce qu’il y a de plus banal, j’ai travaillé, j’ai prié, j’ai élevé mes enfants, je n’ai fait que mon devoir, il n’y a rien de plus à dire, mais non, on se croit tout permis, on fait de moi une héroïne de roman alors que je n’ai jamais lu le moindre roman de ma vie et que ma vie, ça ne concerne que moi et que, comme on dit, pour vivre heureuse vivons cachée.
J’aime cette voix encore bien en vie et en colère de ce que l’on peut dire d’elle alors qu’elle est encore présente et peut se défendre. Merci Vincent.
toujours très beau cette sobriété qui est la tienne… et même la dans la colère, « non mais qu’est-ce qu’on en sait ? »