Dans la fiction je passe mon temps parce que l’auteur m’a faite l’âme triste à me plaindre, parce qu’un homme, Paul, chorégraphe de son métier, n’est pas à moi, comme si la joie était impossible à mon caractère. On me croit niaise, j’en suis certaine, et je me résume à un personnage de romance maladroite qui mouille de ses larmes des cahiers claire fontaine comme si elle avait 15 ans. Non moi c’est pas ça! Je m’appelle Ornella et j’aime la vie, et j’aime la joie sinon pourquoi danser? M’a t-elle montré dansante une seule fois Madame l’auteur? Je dois reconnaître qu’elle commence à percevoir mes récriminations parce qu’avant elle m’appelait Madeleine. J’imagine que pleurer comme une Madeleine était trop évident alors maintenant je m’appelle Ornella. Je préfère pour tout dire, j’échappe un peu au profil d’âme triste avec un prénom d’actrice de cinéma. Je sais, je mens, mais je mens vrai, il faut en convenir, parce que c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour démêler les lignes et les fils, respirer et me faire une place parce que j’ai le droit d’être là tout de même puisque après tout j’y suis, j’y suis. J’y suis.
D’abord je ne passe pas mon temps à pleurer ma misère amoureuse, que ce soit dit. Ensuite il n’y a pas que l’auteur qui écrit et je pourrais pour me venger dire des choses sur cet auteur qui se lance sans savoir dans une aventure dont elle ignore tout. Elle avance en aveugle à tâtons pour raconter ce qu’elle ne sait pas et qu’elle cherche à deviner comme le ferait une voyante en racontant tout ce qu’il lui passe par la tête sans ordre ni direction sous prétexte qu’elle serait connectée à une source forcément divine, une source de vérité pour elle même, pour ses personnages pour sa chère Guadeloupe voire toute l’humanité parce qu’elle à la générosité de se donner, de se prêter au jeu de la passeuse de récits de vie vrai quand bien même tout serait faux.
Elle m’a faite sans amis de mon âge comme si j’avais une malade mentale entre une voisine à la retraite volubile, Mathilde et un amant, Paul, marié, de deux fois mon âge et mon seul objectif dans la vie serait de jouer les Galatée? Certes pour me donner un peu de consistance elle m’a coltiné une mère à l’agonie, une sœur jalouse, une nièce qui me prend comme modèle, un oncle autiste et une tante qui m’a élevée à la dure parce qu’il fallait que je sorte de la misère, misère économique, misère amoureuse, c’est la même chose apparemment dans la tête de mon auteur voyante connectée à la source. Je viens de quelque part, je viens de Bergette, une campagne sans aucune qualité au milieu de la Guadeloupe d’où on ne voit pas la mer au point d’oublier qu’on est sur une île, parfois. Pour faire un peu sérieux parce que Madame l’auteur a de l’ambition, dans la romance maladroite (il manque un autre amoureux qu’évidemment je ne sais pas choisir, mais en toute confidences elle n’a aucune idée de comment elle va le faire rentrer dans le récit, va t-il tomber du ciel? qui est-il?) comme je le disais, dans la romance maladroite il est question de gwoka et là tout se corse. Elle veut raconter cette danse, raconter les sept rythmes, raconter le rituel dont elle ignore tout comme elle ignore quasiment tout de ma vie. Je ne sais pas ce que cela donnera au final. De ce que j’ai pu voir elle a à peine un bout à bout de textes qui relèvent du journal intime la plupart du temps, des phrases parfois bien tournées, du rythme peut-être mais elle n’a pas d’histoire, et on n’a rien si on n’a pas d’histoire!
J’ai cependant de la tendresse pour elle et je sais qu’elle en a pour moi son personnage principal. Elle voudrait déjà avoir fini parce qu’avec la matière accumulée elle n’a aucune idée de comment boucler une histoire (puisqu’elle n’en a pas) avec ordre et direction. Ordre: un début, un milieu et une fin et direction parce que tout ça pourquoi? A quoi sert la littérature? A quoi cela sert d’accoucher de personnages, de les tricoter pour leur donner une verticalité quand on ne sait pas ce qu’on veut raconter et qu’on n’a pas d’histoire. Ah! Elle a un titre l’auteur, c’est Aurum. Ornella est d’origine grecque, dérivé de « aurum » et signifie « éclat du soleil ». Et après? Aurum c’est l’histoire d’Ornella , une jeune femme triste qui rentre en Guadeloupe enterrer sa mère et survivre au deuil maternel et au deuil amoureux. Elle va devoir faire sa métamorphose dans une campagne de Guadeloupe avec un oncle autiste, le gwoka et la nature. Va t-elle renouer avec la joie? Pour renouer avec la joie il faudrait déjà la montrer joyeuse et je mets au défi l’auteur de me montrer heureuse. Non amoureuse, mais heureuse. Je ne suis pas auteur, je ne suis qu’un modeste personnage dans une tentative de roman sans histoire mais je sais que si l’auteur ne sais pas écrire ma joie de vivre ce roman est foutu!
Bonjour Gilda ! J’adore cette scène colère, je dis oui oui oui ! La conclusion me convint moins mais quelle importance, on sait de quoi et pourquoi moment de fictions sont là, en bref on aime encore plus Ornella, et son histoire sans histoire (hum hum est-ce bien vrai ?) on en redemande,
Bonne suite,
Catherine Serre
« je mens, mais je mens vrai » (pour moi tout es là) (c’est bien, c’est beau) (et puis cette histoire de fin, de début, de construction, peut-être que ça n’est pas visible, ça n’empêche pas que ce soit là quand même, déjà là, rien que le fait que la voyante s’active est un début, une construction, une fin, fin en soi ?)
j’aime besoin ton défi lancé à l’auteur…
bravo !