Tu asperges ton visage. L’eau fraîche, tu la laisses couler sur ton cou. Tu viens de te raser. Un reste de jeunesse apparaît sur tes joues. Et surtout la clarté de tes yeux. Une joie. Des mots que tu ne prononces pas. Tu entends ton sang battre. Tu enfiles une chemise, bleue nuit, presque repassée. Tu en retrousses les manches. Tu sors de la salle de bain. Tu vas dans la cuisine te préparer un café. Tu tasses bien le café moulu dans le réservoir de la machine italienne. Tu places la cafetière sur le plus petit brûleur de la gazinière. Tu regardes par la fenêtre, tu aperçois une voisine sortir un seau et un balai sur le balcon de sa cuisine. L’eau frémit. Tu ouvres le réfrigérateur. Machinalement. Tu ne sais plus ce que tu voulais. La cafetière siffle. Tu arrêtes le feu. Tu verses le café dans une petite tasse. Amer, pas aussi bon que là-bas mais pas mal tout de même. Tu entres dans le séjour, la tasse à la main. Tu respires le café. L’odeur plus savoureuse que le goût. Tu restes debout dans le séjour. Tu restes là debout face aux fenêtres du bow-window. La chance d’avoir trouvé cet appartement. Tu bois une gorgée de café. Tu souris. Tu t’aperçois que tu es en train de sourire. Tu attends L. Sur le côté droit, un échafaudage de bambous s’élève contre l’immeuble voisin. Des ouvriers travaillent dans les hauteurs. Tu entends des bruits sourds, répétés, réguliers. Tu finis le café. Tu attends L., tu penses à elle. Sur le dossier du canapé, ce gilet très fin qu’elle porte le matin. Tu aspires une dernière goutte au fond de la tasse. Tu iras peut-être au petit marché quelques rues plus loin. Tu poses la tasse sur la table. Tu t’approches de la fenêtre, tu observes les gens se croiser sur la place, à pied ou en vélo, beaucoup de vélos, quelques camionnettes, rarement des voitures. Tu remarques un jeune homme sur l’échafaudage de bambou au même niveau que toi. Il a enlevé son casque de chantier, trop chaud sans doute. Il fume une cigarette. Tu te retournes vers l’intérieur du séjour, sommairement meublé : canapé, table et trois chaises. Que faudrait-il de plus ? Est-ce qu’elle aimerait des choses en particulier ? Tu ne sais pas, elle dit que ça lui suffit, elle s’émerveille de tout. Elle dit qu’elle n’a pas besoin d’étagère. Ses livres, elle préfère les empiler à côté du lit, tout près d’elle. Ton ordi posé sur la table, tu ne l’ouvres même pas. Tu aimerais lui écrire un poème ou un algorithme comme un poème. Tu t’assois sur le canapé. Tu t’appuies contre le dossier. Tu fermes les yeux. Tu les rouvres. Tu regardes le plafond, tu regardes l’ampoule nue qui pend au milieu. Tu installeras tout de même une suspension car tu n’aimes pas la lumière crue quand elle est électrique. Tu remarques une lézarde à l’angle gauche, tu suis des yeux son tracé en zigzag. Tu attends L.
Celui qui est toujours appelé (presque interpellé) par un Tu dans mon livre en cours d’écriture, c’est le premier personnage qui est apparu. Il est né il y a longtemps déjà dans le premier atelier de François auquel j’ai participé en 2015. Il était question de se perdre dans la ville. Ainsi ce Tu est apparu dans une rue de K. où il s’était égaré. C’était dix ans après la scène ci-dessus, il recherchait l’appartement où il avait vécu avec L., l’appartement où nous le voyons aujourd’hui alors que la narratrice ou le narrateur ne l’écrit pas. Malgré cette apparition – très forte pour moi – je n’avais pas pensé écrire un livre, ni même une histoire. Je voulais par contre écrire un univers, celui de K., un peu comme cela viendrait. Alors bien d’autres personnages sont apparus au fil de l’eau, comme Song et Mirna que l’atelier de cet été m’a permis d’approfondir. Maintenant je ressens la nécessité de revenir à ce Tu et bien sûr à L.
c’est beau ce TU, soudain, même si on cherche à le deviner, à en savoir plus
ce temps qu’il se donne pour se raser, se faire un café, peut être aller au marché, on le suit, on déambule avec lui, tout est si tranquille
merci pour les indications de bas de texte qui nous en révèlent plus…
c’est intéressant que tu relèves la « tranquillité », en effet c’est un moment tranquille, banal dans les gestes quotidiens effectués… j’espère aussi qu’on ressent un peu de tension dans cette attente qui pour l’instant est calme, presque lumineuse…
Merci beaucoup pour ton retour.