Il fait des cicatrices aux murs. Il dort. Il tremble. Il s’agite. Il s’enfonce dans le ventre des lames. Crève. Meurt. Eclate. Se réveille. A nouveau, se tranche les veines. A nouveau, fait des cicatrices aux murs. Il se débat. Dort. Se réveille. On voudrait le contenir. Sois convenable, on lui dit. Il se débat. Les gens te regardent, on lui dit. Les satanés lecteurs. Foules avec leurs attentes. Avec leurs convictions. Avec leurs combats. Charniers pleins de certitudes. Connasses. Merdeux. Troupeaux pleins de jugements. Saloperie humaine. Incapables de comprendre une œuvre littéraire. C’est hors de leur portée. Qu’ils crèvent. Prêts à te lacérer en cas de désaccord. A te faire la peau. Prends garde, on lui dit. Sois convenable, on lui dit. On te scrute. Il n’en a rien à branler. Il donne des coups de couteau. Il fixe le mur du regard. En silence. Il troue le mur. En silence. Il le lacère. Il le scarifie. Le mur saigne. Le mur sanglote. Et il voudrait s’en débarrasser. De ces images du passé. De ces projets d’avenir qui s’entassent. De cet espoir qu’il faut tuer. Cet amour, il n’en veut pas. Tous ceux qui à ses basques s’accrochent, qui à son ombre s’accrochent, lui font de l’ombre, qu’ils le lâchent. Alors il lacère les pages. Le livre tremble. Le livre saigne. Il découpe le moindre mot. Hache le langage. Se rend incompréhensible. A mort la littérature. Et le livre s’agite. Le livre s’ébranle. Le livre est plein de sang. Plein d’obscurité. Il sort prendre l’air. Traine des cadavres de mots derrière soi. Veut fuir cette mort qui guette. Qui risque de l’emporter. Il fait un tour. Il revient. Il dort. Sort de son sommeil. Se traine à nouveau. Traine derrière soi d’autres cadavres de mots fraichement assassinés. Des phrases. Cabossées. Désossées. Inconsistantes. Il revient. Il dort. Il renait encore. Il n’en finit pas de se tourmenter. Il ne quitte pas ses pieds des yeux. Marche. Il évite les regards des passants. S’égare. Il regarde le ciel. Les nuages. Il évite de parler aux arbres. Il a des ponts dans les basques. Des attentes de train. De vieux couloirs en ruines. Il a des chambres pleines de livres sur le dos. Il a des errances dans la tête. Des errances dans les poches. Des errances dans les jambes. Dans la peau. Alors il donne des coups de couteau. Pour se libérer. Mettre fin à ce supplice. Ce supplice qui continue. Qui continuera. Le livre sera plein de sang. Il cessera. Il ne rêve que de silence. Il donne des coups de couteau. Tout ça cessera. Un jour, peut-être. Hélas. Il regrette d’être né. Il donne des coups de couteau. Il dort, maintenant. Il est là, maintenant. Il repose là. En soi. C’est en soi, tout ça. En soi quand la colère monte. C’est en soi quand le monde chavire. C’est en soi quand le désespoir étrangle. Quand le désespoir tue. C’est en soi quand on rêve de mourir. De tout abandonner. De partir. De se perdre. De se faire oublier. Honteux de ce qu’on est. Et on donne des coups de couteaux. On s’enfonce des lames. On se tue. On se tue encore. Et encore. Et on se donne des coups de couteaux. On couvre les murs de notre haine. On se saigne. On se saigne. On se saigne.
On attend de se libérer de ce truc qui nous ronge encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore.
(très fort) (j’avais lu « On s’enfonce des larmes » au lieu de lames) Merci pour ce texte, sans filets
Merci pour ce commentaire. J’avais besoin de l’écrire, ce texte.
comme souvent troublant, bouleversant. il n’a pas pas la vie facile, le personnage. il a le livre, tout de même, pour le recevoir, pas tout à fait sans filet. un livre écrit avec talent. même si les vagues de certaines pages paraissent devoir vous emporter.
il y a très longtemps, mon fils, nous visitions une exposition, il devait avoir 4 ans, il me dit: on y va, dis, on y va, on tourne la page, on tourne la page maman ? il voulait changer de salle.
Merci pour ce commentaire. Ca fait longtemps que je n’ai pas été dans une exposition. C’était sur quoi, si ce n’est pas trop indiscret ?
je ne sais plus. Munch à Beaubourg peut-être. non, ça c’était en 2011. et puis c’était une exposition collective. Traces du sacré, peut-être… ou elles@centrepompidou… je ne sais plus !!!
Entre couteau et crayon, le bon choix, le crayon !
Merci. J’avais été marqué par un jeu, pour tout avouer. Certaines images me sont restées en tête. C’est un jeu avec un discours très juste sur les traumatismes, notamment de l’enfance.
Et de quel jeu s’agit-il (si ce n’est pas trop indiscret) ?
Jene joue pas, mon fils oui, mon compagnon aussi. Hier, il était dans un jeu, mon fils, et il devait choisir le degré de difficulté. Pour le degré Hard, le personnage se déteste lui-même… (Persona)
Il a des ponts dans les basques. Des attentes de train. De vieux couloirs en ruines. Il a des chambres pleines de livres sur le dos. Il a des errances dans la tête. Des errances dans les poches. Des errances dans les jambes. Dans la peau. Très beau…
Merci pour le commentaire. Ca me touche.
Texte bouleversant et très fort. Merci.
Haletant. On attend qu’il en sorte, qu’il s’en sorte, que cette folie du couteau et de la haine du mot, de la rage de ne pas y arriver se tarisse et s’apaise. Le tourment de l’impossibilité de dire et d’écrire. C’est magnifique ce texte. Je pense à un violoniste terriblement talentueux qui un jour avait fracassé son violon. Et dans les villes, tout ces ordinateurs portables qui volent par les fenêtres des chercheureuses de mots justes…
« Prends garde, on lui dit. Sois convenable, on lui dit. On te scrute. » alors on comprend bien qu’il n’en ai rien à foutre, et j’ai envie moi aussi de lui emprunter le pas et de donner des coups de couteau et d’ajouter du sang à ton livre assassiné…