elle entend le plus jeune avait dix-huit ans il surfait toute la journée elle dit vous êtes gentille vous savez je suis quelqu’un de gentil je n’aime pas les histoires je n’aime pas faire des histoires et je crois que quand on est gentil avec les gens il n’y a pas de raisons ils sont gentils avec vous elle entend c’était sacrément une bande de mecs assez incroyables quoi qui avaient une force physique une volonté elle entend comment ça va ce matin elle dit je dors bien j’ai bien dormi elle dit je préfère les tartines elle entend et les planches tout le monde les transporte comme ça à l’aise elle frotte le devant du tissu pour faire tomber les miettes elle dit ma fille vient souvent elle dit qu’est-ce que vous dites je n’ai pas entendu elle dit du dentifrice d’accord je demanderai à ma fille elle vient souvent j’ai de la chance j’ai deux enfants je les aime à égalité autant l’un que l’autre j’ai deux enfants elle voit par la fenêtre une femme passer elle se dit que c’est la dame de l’autre table elle se dit qu’elle demandera à madame lamy qui est cette dame elle voit une plage de californie elle voit l’homme en bleu sur la plage de californie elle l’entend dire une planche munie d’une dérive voilà tout l’outillage elle tourne la tête vers la fenêtre elle regarde sur l’appui de fenêtre la photo de R à venise elle ferme les yeux elle ouvre les yeux elle cherche la pochette rouge dans le porte-revues collé à l’accoudoir elle se penche par-dessus l’accoudoir pour attraper la pochette rouge elle l’ouvre elle regarde les papiers elle pense qu’elle vient de recevoir les papiers au courrier elle referme la pochette rouge avec son élastique elle range la pochette rouge dans le porte-revues elle déplace le petit album pour glisser la pochette rouge elle prend le petit album elle l’ouvre elle voit les armoiries de rocca d’arce elle pense que sa mère disait on dit la rocca elle tourne la page elle voit la place de l’église elle pense que sa mère disait il ne pousse que des pierres là-bas elle pense maintenant il y pousse des fleurs elle range le petit album en le calant contre la pochette rouge pour ne pas qu’il glisse elle regarde dehors elle ne sait pas s’il pleut elle ne voit pas s’il pleut elle se souvient de la corse elle est triste elle se souvient de la corse elle revoit le bateau elle revoit la bousculade la file d’attente le bateau elle revoit l’homme elle se revoit en train de parler à l’homme elle se revoit s’interposer et dire regardez-le vous n’allez pas le frapper vous voyez bien qu’il est malade elle se souvient qu’il ne pouvait presque plus bouger mais il cherchait tellement la bagarre elle se souvient qu’elle a ouvert son visage et incliné son visage les yeux mouillés les yeux implorants en y repensant elle reprend l’expression la même expression le visage incliné les yeux implorants vous n’allez pas le frapper vous voyez bien qu’il est malade laissez-le elle revoit l’homme faire machine arrière elle pose ses pieds en dehors des supports elle dit vous êtes gentille vous savez je suis quelqu’un de gentil moi je suis comme ça je n’aime pas faire des histoires elle se laisse tomber plutôt qu’elle ne s’assoit sur la chaise en plastique de la douche elle constate que maintenant on la douche assise elle se dit que c’est momentané quel âge j’ai c’est beaucoup quand j’étais jeune cet âge-là c’était les vieillards elle boutonne devant son chemisier lentement elle boutonne elle boutonne en boutonnant elle voit ses mains ses ongles les taches les ongles les deux alliances la bague elle dit vous voyez ça ? elle montre la bague un mois de salaire elle montre la photo elle dit c’était un sportif elle dit plus ça va plus il me manque elle prend les médicaments dans le godet sur la table roulante elle avale les médicaments elle entend patrick bonjour vous nous apportez la sculpture d’un sculpteur qu’on connaît bien elle pense ça vaut sûrement cher elle pense à la caméra dans le placard elle pense qu’elle ne doit pas demander si la caméra est toujours dans le placard pour ne pas qu’on la lui vole parce qu’on ne sait jamais on lui a volé des madeleines elle pense qu’elle demandera à sa fille quand elle viendra si la caméra est toujours dans le placard elle entend l’éternelle beauté il faut un beau travail de soudure ce qu’il faut savoir c’est qu’arman laisse ses soudures apparentes lui il travaille comme cela on va juste rebrosser l’intérieur pour lui donner un nouvel éclat pour désoxyder on va badigeonner le vert de gris il va doucement disparaître ces soudures c’est sa signature en somme j’ai appris quelque chose elle ferme les yeux elle cale son coude pour que sa main soutienne sa joue elle ferme les yeux elle pense elle rêve elle pense elle entend je vous ramène vos vêtements propres elle entend soyez les bienvenus on commence avec la canicule on fait un tour d’horizon comment vivez-vous cette période ? ben les fontaines c’est genre le rêve de chaque personne non ? elle ouvre les yeux elle ferme les yeux
vertigineux, très beau. cette incessance d’une conscience.
Merci Véronique ! (j’ai essayé de viser le vertige, je n’ai pas regardé en bas en écrivant) (sinon oups :-))
J’ai hésité à plonger. Quatre lignes, puis autre chose, puis suis revenue et c’était une bonne idée, d’y revenir ! Lire comme on s’approche du brouillard, pour voir mieux, distinguer les personnages, les situations et tout se met en place, naturellement, et on y est.
Merci
Merci Juliette ! (je crois que pour moi aussi ça devenait de moins en moins flou, aussi parce que je suis restée assise sur le fauteuil comme elle, alors au bout d’un moment ça stabilise)
C’est absolument poignant, terrible, on est avec elle, dans son flux de pensées, même si chaotiques, confuses, mais le texte un diamant… On a envie de la prendre dans les bras… Merci
Merci Catherine ! (moi aussi j’ai envie de la prendre dans mes bras, et je le fais :-)) merci beaucoup
C’est fort et ce flot continu dans l’écriture nous bouleverse. Quel beau personnage. Merci.
Merci Françoise !
On y est dans ce délire yeux fermés yeux ouverts… magnifique flux long comme un fleuve qui ne s’arrête jamais ou alors s’arrêterait à la cessation du souffle
et puis c’est fou un détail, ses enfants, elle en a deux et elle les aime autant l’un que l’autre, tu écris, et voilà que ça me percute….
Merci beaucoup Françoise !
j’ai fractionné (c’est pas bien) et évité de rajouter au vertige même si celui ci était de meilleure qualité
(en fait c’est l’idée, en tout cas quand je tombe sur un texte sans ponctuation mon cerveau fonctionne comme ça : il décide lui-même de mettre la ponctuation qui manque et donc il met sa respiration dans le texte, il maîtrise, un peu comme on prend le volant d’une voiture qui avancerait toute seule sans nous) (enfin, c’est comme ça que je le sens)
Ses pensées qui coulent nous la rendent tellement présente. Je plonge, je suis bercée par la musique, la douceur, la délicatesse, il ne faut rien brusquer parce que cela pourrait casser, donc pas de ponctuation ouf! La fragilité est sauve. Merci Christine.