L’aire de service des Chères. Elle cherche la page où ils en parlent1. Elle y colle un post-it pour pouvoir y revenir. Ils parlent surtout des camions et de leur camionophobie. Quarante ans après, elle partage. Elle regarde les photos et les légendes :
– Le parking des chères où rien ne manque excepté la beauté
– Et pourtant, de menus arbres nous accueillent évitant à Fafner d’éclater comme une bulle en plein midi
– Enfin les chiens sont pris en considération (il était temps) au parking des Chères
Il n’y a personne à qui parler. Que devient, quarante ans après, ce chauffeur qui déplore de ne pas être là pour la naissance de sa fille à Malaga, pris de vitesse ? Elle a quarante ans et lui est sans doute à la retraite.
Elle cherche les différences. Elle traque ce que le temps a fait en 40 ans.Elle veut prendre les mêmes photos. Les quatre pompes à essence (dont une pour camion) sous leur voile de béton sont toujours là. Elles sont automatiques désormais. Les arbres sont toujours menus. L’asphalte omniprésent et la pelouse aussi mitée qu’alors. Disparu le toutou-bar, il y a désormais un point fraicheur (pour les humains sans doute). Plus de cabines téléphoniques, des bornes de recharge électrique, une table de pique-nique et un toboggan en plus, une passerelle piétonnière pour faire communiquer les deux aires, celle nord-sud et celle sud-nord de l’autoroute A6, les services sont de l’autre côté sauf les toilettes. La signalétique et la taille des poubelles, voilà le plus neuf : bandes blanches, flèches blanches, panneaux de sens interdit, conteneurs imposants, séparés pour les ordures et détritus de toute nature.
Les chères, c’est juste avant Lissieu en venant de Paris. Lissieu n’a pas d’aire de service. Lissieu est invisible derrière sa barrière anti-bruit. Lissieu voit et entend l’autoroute, mais personne ne voit Lissieu. Coupé en deux et exclu de la carte du monde par l’autoroute depuis cinquante ans. Sur le coup, ça doit faire quelque chose, mais cinquante ans après qu’est-ce que ça change, tout et rien. On s’habitue par infimes paliers à ce monde où rien ne manque excepté la beauté.
1les autonautes de la cosmoroute ou un voyage intemporel Paris-Marseille Carol Dunlop, Julio Cortazar 1983 NRF Gallimard p165-175
superbe titre et plein d’images. Et puis c’est beau cette idée de chercher les différences.
C’est implacable. Titre excellent. Merci!
Merci Françoise et Catherine. Malheureusement le titre est de Julio Cortazar. On reconnaît les grands !
c’est vrai que le titre dit bien ce qui nous manque si cruellement dans ces lieux strictement fonctionnels. Ca peut vous arracher les yeux et le coeur d’être sur une aire d’autoroute parfois. Et tu décris sans pathos cette façon qu’elles ont ces aires de rejeter et l’animal et le végétal. Pas de vie là-bas. Même pas pour un père en devenir.
Merci Sybille. Julio Cortazar et Carol Dunlop ont aussi trouvé de belles aires. Comme par hasard, celles où il y a des arbres car l’ombre n’est pas que l’absence de soleil, mais aussi la respiration des arbres.