Elle attend dans le coin de la chambre, en petit paquet contre deux pans de murs bien solides. Elle attend le retour du corps, elle attend que ce corps rentre de ses pérégrinations, relâche ses tensions, se libère de ses pensées accumulées d’une journée à recevoir et traiter des stimulations de tous ordres, lumières fortes, voix aigües, mains salies. Elle attend, comme on attend après un enfant. Elle attend les discussions sans fin. Elle attend la fin des décharges, elle attend les soins du corps, les dernières résistances. Quand le sommeil prend enfin le corps épuisé, elle vient, elle s’approche. Le corps abandonne ses tensions à mesure qu’il les expire, elle glisse un peu plus, parfois sur la pointe des pieds, un peu plus près. Son tonus est à présent totalement abaissé, le corps peut recevoir les images qu’elle veut lui montrer, les histoires dont elle veut l’imprégner. Ses efforts ne sont pas toujours récompensés, de ses visions, au réveil, le corps peut tout oublier, cela dépend d’une certaine chimie et de conditions pas toujours réunies. Parfois quelques visions restent, quelques fragments d’histoires aussi, quelques mots, des fourmillements de la pensée. Malgré l’oubli, le corps engramme. Elle est patiente, elle a besoin de la reconnaissance de ce corps, comme si elle était une réalité à raconter, elle a besoin d’une main et d’un geste sûr, débarrassée quelques heures par jour des contraintes du quotidien, elle a besoin de la liberté de ce corps, de son saut dans le vide puis de son envol, elle a besoin de faire de ce corps la cavité où s’engouffrer et voguer. Elle prend son temps et joue de sa détermination, chaque jour. Elle attend et prend le temps, les retrouvailles ne sont jamais acquises. En chemin, elle précise son histoire au-devant d’elle-même. Sa patience est ferme. Cette âme attend que son corps retourne là d’où il vient.
quel texte ! quelle évocation…