J’écris comme Paul sur des cahiers d’écoliers. Nous nous étions amusés de cette habitude commune et j’avais dit que c’était la preuve que nous étions faits l’un pour l’autre. J’avais ri comme si c’était une plaisanterie, un conte pour enfant auquel, bien sûr, je ne croyais pas, et j’avais relevé la tête, redressé le buste comme pour faire plus grande sans même le réaliser. Maintenant que j’y repense, je me sens ridicule, ridicule parce que j’avais sans doute voulu retrouver mon aplomb tant la remarque était embarrassante. Ridicule.
J’aime les lignes de mon cahier d’écolière parce qu’elles me rassurent. Quand je prends le bus, ou quand j’attends à la caisse du supermarché ou de la pharmacie, je pense à ces lignes. Si un chercheur en neuroscience devait radiographier ma cervelle ou mieux encore avec une technologie futuriste montrer en image son contenu et bien il projetterait sur grand écran des lignes de cahier sur deux pages. Rien ne serait encore écrit. Les pages ne seraient pas vierges, elles auraient des lignes rassurantes. Un jour à l’hôtel un client a oublié un carnet moleskine noir sans lignes tracées. L’écriture restait droite pourtant comme sur une ligne invisible, les lettres petites et bien formées. Si je devais tenir mon journal intime sur ces pages écrues, l’écriture finirait par pencher, je la redresserai et au final les pages seraient remplies de lignes d’écriture en forme de vague, les vagues de mes émotions et forcément je serais noyée, ce qui est impossible quand je pose mon écriture sur les lignes. Les lignes empêchent la noyade, m’empêchent de tomber, de déborder, les lignes me rendent sage et me cadrent. Est ce que je suis une sage écolière qui attend poliment, gentiment d’être écrite par un auteur qui lui ne possède que des carnets moleskine? Pourquoi l’auteur serait un homme d’ailleurs? Pourquoi est ce que je devrais attendre d’être écrite sur des pages écrues d’un carnet moleskine noir par un homme? Est ce que Paul est en train de m’écrire sur un cahier clairfontaine rouge? Je suis sa muse, forcément il pense à moi, si ce n’est par amour au moins parce que je l’inspire, il me l’a dit et je l’ai écrit dans mon cahier pour en garder une trace tangible, parce que je n’avais rien de lui, pas une brosse à dent, une chemise, encore moins ses meubles et même pas son odeur, si parfois et c’était douloureux parce que son absence n’en était qu’encore plus criante. Je n’attends personne, je m’écris moi même sur des cahiers d’écolier clairefontaine que je choisis toujours de couleur bleu. Parfois je n’écris pas et depuis le temps je devrais savoir que c’est mauvais signe, que l’orage n’est pas loin. J’ai tenté de me convaincre du contraire. Tu n’écris pas donc c’est que tu vas bien. Tu écris et c’est pour poser ton mal-être sur des lignes comme si de les tracer droit pourrait te redonner ta santé mentale, tout ça pour finir en larmes et faire gonfler le papier et couler l’encre parce la solitude t’empêche de respirer. Alors je tourne la page et je peux passer un temps infini à regarder les lignes. Pas besoin de mots, surtout éviter les mots, l’écriture, éviter de penser, juste les lignes et suspendre le temps, plonger dans le vide de la page blanche sans attente, sans espoir et que seul reste dans la conscience et sur l’écran géant des lignes que des larmes n’ont pas gonflé.
« Les lignes empêchent la noyade » (c’est ça)