Les crevettes à la fois grises et transparentes se déplacent sur le dos par des saltos arrière, je les observe avec fascination, et ma pratique du yoga m’incite à retourner sur la plage et essayer ce mouvement simple en apparence. Il suffit comme les crevettes glissent dans l’eau que je m’élance dans l’air pour atterrir debout sur mes pieds…
Ce saut m’embarque près du ruisseau où des enfants en culottes courtes jouent avec une écrevisse avançant sur la bordure. Nous avons dix ans, ensemble nous remontons la pente, nos souffles s’accélèrent, nos jambes bouillonnent de cette énergie qui semble inépuisable. Le vent nous caresse la nuque, un frisson parcourt mon dos. Les cocotiers qui nous entourent se penchent vers nous pour garder en mémoire nos rires et nos rêves joyeux. Les semelles de nos vieilles sandales enjambent les buissons.
Le temps devenu intemporel semble avoir raison de ma raison. La frontière entre réel et irréel se brouille. Le chemin reste le seul indice à quoi me raccrocher. Je l’emprunte avec circonspection, une curiosité se mêle à la peur. Je remonte les pas pesants et collant au sable qui finit par se dérober sous mes pieds ; je continue à avancer malgré le poids du temps distordu et l’intemporalité qui enlace mon esprit. Tandis que je poursuis, mes amis d’enfance disparus demeurent une énigme qui m’obsède. J’embrasse l’inconnu avec audace et appréhension. Arrivé en haut du chemin, je me retourne, le soleil à son coucher apaise mon inquiétude et me renvoie à mon passé.
Le soleil éblouit nos yeux, et nous évaluons la pente à nos pieds. Elle est raide, et nos éclats de rire mêlés de trouille fendent l’air. Attirés par ce long talus, nos maillots se soulèvent comme des oiseaux et nos culottes en cotonnade se gonflent comme des voiles au vent. Nous nous allongeons de tout notre côté un peu éloignés les uns des autres pour éviter la tamponnade et commençons notre roulade effrénée d’infini jusqu’au ruisseau dans lequel les écrevisses poursuivent leur chemin. Éviterons-nous les bouses plus ou moins sèches et sacrées de nos vaches? Qu’importe on ne s’arrête pas pour si peu quand on a dix ans ! Le ruisseau nous attend en bas, lieu secret où les histoires naissent et meurent.
Telle est la magie des rêves.
Ah oui, les bouses, je les avais oubliées. « Mes amis d’enfance disparus demeurent une énigme qui m’obsède ». J’aime.