Camille a laissé un mot sur le seuil de la porte. Elle laisse toujours un mot. Aucunes paroles. Elle aime être « de passage ». Elle plisse les yeux vers l’océan tout proche. L’air sent l’iode et les relents de la dernière pêche. Les sirènes des grues d’un chantier se mêlent aux cris des goélands, aux chargements des navires. Un paysage brutal et gris. Ca sent l’essence et les ordures abandonnées. Le vent dans ses cheveux assourdit peu à peu le vacarme du chantier naval. Elle gagne un chemin de graviers blancs, une zone plus naturelle. Elle accélère le pas vers l’embarcadère. Soudain c’est comme un vertige, un retour sur les années d’enfance lorsqu’elle habitait sur l’île avec son grand-père. Il l’attend lui répète-t-il lorsqu’elle l’appelle. Ajoute qu’il sera toujours là. Faire la traversée, quitter le continent. Etre toujours entre arrivée et départ. Elle s’assoit à l’aplomb de la digue. Des frissons parcourent ses bras. Elle n’avait pas imaginé que rentrer serrait si difficile. Le large emporte ses pensées au-delà de l’insouciance. Elles s’enfuient ailleurs, vers le lien ténu qui l’attache à l’île. Elle avait parcouru des villes sans savoir véritablement où aller, cherchait un jour clair loin des façades grises de l’enfance. Elle n’avait trouvé que la pâleur des matins dans l’attente d’un bus ou d’un métro, des emplois aux gestes répétitifs, ses pensées à la poursuite de ses rêves. Mais de quels rêves ? Et toujours le manque du vent glissant sur sa peau et les embruns fouettant son visage. Tout près, les oyats se balancent au vent, rencontre éphémère soulignant l’impermanence de l’instant. Elle se sent légère et agitée à la fois. Le sang bat dans ses veines, pointille ses joues d’une couleur aigue. Devant l’horizon elle ne sait plus si elle doit rester ou partir. Sa voix tremble lorsqu’elle demande l’heure de départ du prochain bateau. Une tristesse insondable l’étreint. Elle se remémore l’émerveillement et l’éclatant bonheur des dernières heures. Dans la cacophonie du vent elle donne soudain de la voix, crie aux récifs la turbulence des jours. Elle restera encore, elle ne sait pourquoi. Encore quelques heures, quelques jours, à la recherche de ce qui n’est plus.