Si on lui demande ce qui évoque le mieux son enfance, elle dira toujours Le marchand de glaces.
La musique qui éclot lentement dans le silence des rues, comme un bec fragile casse sa coquille, qui sillonne les murs, la route, les places, habille lentement les trottoirs et s’enroule autour des chevilles des gamins qui jouent dehors. Le bout de métal qui circule entre les maisons, trace une ligne fugace sur les fenêtres, se fond en camionnette bleue, morceau de ciel tombé sur les pavés. Une silhouette, mi-dieu mi-fée, encadrée par une vitre ouverte, en tablier, une cuillère dans une main, un cornet dans l’autre, qui reçoit avec foi la chanson des parfums : chocolat, pistache, fraise, vanille… La distribution de merveilles, les langues sur les boules glacées, les sucres qui s’insinuent dans les gorges, les dents qui attaquent les galettes en échange de quelques pièces, c’est une lumière dans sa mémoire fragmentée, entre les éclats de désillusions.
Soleil, stries de chaleur au-dessus du goudron, voix, rires, chaussures sur le marchepied, on se hisse, on s’appuie, on scrute le menu mais on prend toujours la même chose, on redescend, le cornet en main, ou le petit pot, on traîne à côté du fourgon pour attendre les copains, la glace fond, coule le long du biscuit, des doigts, ça colle, on lèche, on se moque parce que le plus petit a laissé tomber sa boule par terre, le marchand l’a vu, attend que les autres s’éloignent, rappelle l’enfant, lui en donne une autre, un doigt sur la bouche, c’est notre secret.
Si on lui demande ce qui évoque le mieux son enfance, elle dira toujours Le marchand de glaces parce que le reste s’efface, parce que la douleur la plus ancrée de son histoire, torchon de brûlure aux bornes de sa jeunesse, elle préfère la rayer, la gommer, la noyer dans l’amnésie.
la glace opposée au « torchon de brûlure », c’est réussi pour nommer ces deux parts d’enfance opposées.
Merci
texte gourmand jusqu’aux dernières lignes qui ouvrent sur l’ailleurs…
on aimerait que la porte s’ouvre, on aimerait plonger dans ce qui voudrait être oublié…
à vous suivre encore dans votre chemin…