La grange, la cave, la grotte, lieux sombres, lieux clos, on hésite avant d’entrer, on y cherche quelque chose, on ignore quoi, on sent de l’enfance qui flotte, des fantômes, des odeurs. La grange, c’est l’herbe, c’est le maïs, c’est le remugle des vaches, la grange, c’est explorer le père au travail, la grange, on y est trop entré, on a cherché, cherché et encore cherché (le bidon rempli de clous rouillés ; les dessins qui n’ont jamais été là, la fleur, le perroquet ; une échelle appuyée contre un mur ; la charrue, la pompe à diesel pour les tracteurs ; les câbles et la manivelle ; un livre, un cahier, en sortir enfin), la grange, on transforme, on referme, on descend à la cave (la choucroute, la confiture, l’assassin tapi dans l’ombre), on s’enfonce sous la maison, on a peur, mais c’est une peur que la glace dans le bahut efface ou plus tard la bouteille de merlot et le petit verre de calvados, et plus sombre que la grange et que la cave, il reste la grotte, et avant la grotte, la forêt, la terreur de la forêt la nuit, et ce qui se cache au fond de la grotte est bien pire que les secrets de la grange, cette grotte, ces grottes, ce sont des lieux où l’on meure vraiment, où des gens vivaient à l’année, pas seulement un instant pour donner à manger aux vaches ou pour choisir un pot de confiture, des gens vivaient, couchés sous une couverture dans cette grotte, et il y avait aussi cette grotte où après le dépeçage du juif ils avaient, les bouchers nazis de Payerne, brûlé ses vêtements avant de le jeter dans le lac, et la grotte devient alors un lieu d’horreur, un lieu où le pire est certain, même si c’est là, dans des grottes que l’art est né et qu’il n’existe pas de grotte sans la moindre inscription, le moindre dessin, parce qu’une grotte, c’est un appel à écrire ce qui compte, notre nom, nos amours, nos colères, écrire loin de tout lecteur sinon ce spéléologue du futur qui n’y comprendra rien.
la grange la cave la grotte. c’est beau. on comprend que ça vienne et revienne. on la sent, la marque, de l’intime. qui parle à tous, au nombre. le désir du livre, la peur. la glace et le cavados. et puis cette grotte, et ce drame, qui fut universel, dont le monde porte encore la marque, indélébile. le monde qui est cette blessure. d’où sourd la nécessité d’écrire.
me donne envie de me blottir et m’endormir la grotte mais c’est vrai ce n’est pas tout il faut profiter de la force qu’elle donne