« – Je me suis réveillé, troublé. Il y avait ces regards.
– Toujours les regards.
– Même quand je dors.
– Ils veillent.
– On les habille, on leur donne forme. On pense les mettre à distance.
– Ils sont quand même là.
– On prend un masque.
– Ca ne cache rien.
– Je croyais pouvoir les supporter. Je crois qu’ils m’ont toujours été insupportables, comme s’ils attendaient quelque chose de moi depuis tout ce temps.
– C’est pour ça que tu fuyais ?
– Que je partais, à chaque fois, sans plus donner de nouvelles, comme mort.
– Tu craignais que ça dérape. Qu’ils te voient comme tu es vraiment. Monstrueux. Difforme.
– Ca aurait dérapé, à un moment.
– Tu ne les aimais pas non plus. Leur vision des choses te faisait horreur.
– Je craignais pour mes chimères.
– Tu revenais. Tu cherchais à nouveau leur compagnie. Et tu t’attachais. Tu t’attachais aux jugements. Tu voulais être le centre de leur monde. Que tout tourne autour de toi. Tu t’étonnes que ça pèse.
– Ils attendaient quelque chose de moi.
– Tu attendais quelque chose de toi-même.
– J’attendais quelque chose d’eux.
– Il fallait disparaître.
– Pour se soulager.
– Momentanément. Ils sont dans ta tête.
– C’est toujours momentané.
– Illusoire.
– On croit s’être libéré.
– On est prisonnier.
– Des yeux qui rient, qui foudroient, qui jugent.
– Qui méprisent. Et quand ils sont absents, on prend peur.
– Ils sont partout. Partout dans les murs, des yeux. Partout dans la tête, des yeux. Partout dans les rêves. Partout en soi. Dans les mises en garde, dans la peur de décevoir. On voudrait les crever. Crever l’humanité qui en déborde.
– Partout, dans les hortensias. Partout, dans la cabane en bois.
– Sur la couverture des livres.
– Quand ils sont absents, on les appelle.
– Dans le miroir, on se regarde.
– On s’observe.
– On se juge.
– On se méprise. »