#été2023 #09 | désir de jonques

Presque nuit, il pleuviote, vers le sud l’île et la baie ont disparu. Un groupe d’oiseaux passe, une vingtaine, noirs, incapable de dire à quoi ils ressemblent, pas gros, hirsutes, ils arrivent du nord-ouest Islande, Groenland vont vers le sud-est, la mer, la baie, vous allez certainement plus loin les amis, vous raconterez là-bas des histoires glanées là-haut. Si vous risquez ce départ, vous devez savoir que le réchauffement n’est pas total ou est-ce habitude du grand voyage, goût de l’ailleurs ? Vous raconterez que là-haut, vous avez vu une ombre entrain de pisser, qu’elle avait dans la tête des histoires millénaires d’oiseaux de passage que les sédentaires se racontent pour rêver de voyages infinis, les hirondelles que comptaient les écolos, les cigognes en croix dans le ciel tentant de leurs ailes, de leur bec, de leurs pattes oranges un départ contrarié par un vent trop fort, un voyage si long, ce n’est pas une rigolade, ça se prépare, ça se mérite, et cette histoire d’oies en vol en V avec la tête qui changeait sans arrêt comme une prise de relai au Tour de France, rarement fatiguées posant parfois pattes dans le marais noyé de brume. Il essaie d’attraper des grenouilles avec une canne à pêche et un chiffon rouge, c’est ce qu’il avait entendu dire mais c’était peut-être seulement une blague, une histoire encore à laquelle il avait cru, les oies cagnardent derrière la haie, lui, quelques vaches et les cabanes des chasseurs, il a peur qu’ils se mettent à tirer, il se montre, fait des grands gestes, les oies s’enfuient. De l’île en face, on ne voit rien, on n’y accède qu’à marée basse. Ces histoires piochées au plus loin de la mémoire humaine, est ce lui, est-ce un autre, rêves de lune, désir de jonques, confort de s’imaginer fils de la chimère tout en se sachant d’ici, de savoir le retour possible sous le ciel bleu strié de martinets trissant. Quelques égarés retardataires passent, rattrapez vos copains, ne vous laissez pas distancer et la nuit s’installe pour de bon, la brume gagne tout, au ras de l’eau seule la lumière perçante d’une balise signale un haut fond, le sommet de l’île est totalement noyé, le hangar du port s’éclaire en sorte de virgule lumineuse, la véronique elliptique et les montbretia dégoulinent. Vous voyagerez encore dans la nuit, ferez étape au pays des eaux calmes, commencerez à raconter vos histoires à des pigeons éberlués. Paysage d’eau odeur mouillée fucus explosant sous le pied étrilles galopantes grandes marées baie des cochons oies en V phare liberté confort grenouilles rétives famille envie d’ailleurs. Solitude. Du bord de la route levée en surplomb, il regarde les paysannes courbées sur l’eau qui repiquent le riz, les taches blanches des aigrettes dans les arbres.

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.