Dans la pénombre tamisée par la lueur délicate des bougies, de son allure majestueuse la table en palissandre noircie par des milliers de massages, appelle le corps de sa carcasse rigide, pas la moindre rainure qui ne soit scellée à sa voisine par l’huile de sésame tiède mêlée d’huiles essentielles d’ylang-ylang, de lavande fine, d’orange amère, de camomille romaine, de marjolaine à coquilles et encore de mandarine. Sculptée dans ce bois au teint sombre et veiné, cette table aux contours précis, rectangulaire et concave appelée grand brancard, et sur laquelle peut venir se nicher le corps fatigué, est accessible par un marche-pied du même bois dont le premier échelon plus usé garde la mémoire des départs hésitants et le second celle des retours soulagés ; le contact est à la fois rude et apaisant, une connexion ténue avec l’histoire dont la vie pulse dans ce bois figé, le corps devient une extension de la table, une continuité organique qui porte en elle tant de sensations et de gestes passés, une plongée dans l’infini des mémoires enfouies comme une empreinte éphémère dans l’immensité des instants. Un sanctuaire. La tête posée sur la dhroni, la têtière, avec à l’arrière une potence en bois de hêtre à laquelle est suspendu le dhara, un récipient en cuivre avec un robinet qui permet la coulée d’huile tiède sur le front par un mouvement de balancier ; le shirodhara est une méthode de soin destinée à rééquilibrer les deux parties du cerveau.
Le bois rugueux murmure, interrompu seulement par le chuchotement des mains de deux masseuses, fantômes bienveillants au toucher délicat elles caressent chaque grain de peau en des gestes gracieux jettent en une pluie sur le corps l’huile tiède, chaque pore s’en imprègne. Dans ce mouvement perpétuel l’huile glisse avec douceur suivant les courbures des formes et les méandres des reliefs de la table, rivière transparente et invisible avant de s’engouffrer dans le déversoir situé en bout où sans bruit elle s’écoule créant un sillage fugace. L’huile évacuée est recueillie avec précaution dans un bac réservé. Chaque goutte précieusement préservée, prête à être utilisée pour le prochain massage dédié à ce corps. Ainsi, l’élixir précieux ne se perd pas, tel un héritage secret dont le bois de palissandre conserve jalousement la mémoire.
nous revenons avec plaisir dans l’ambiance délicate aux bougies allumées et arômes d’huiles chaudes essentielles et bois de palissandre…
tout le contraire de ma table en bois sombre qui a accumulé trace de tout… gestes nourritures histoires…
Oui Françoise chaque table recèle sa part de mystère en même temps qu’un silence bavard… merci
Un texte qui fait appel aux sens. Merci Raymonde.