Une culotte de petite fille, triangle de coton sur triangle de coton. La conception est simple, trois côtés, trois ouvertures. Une culotte et une autre pour la semaine. Pas plus. Le signe d’une simplicité de vie qu’on appelle la pauvreté. Elle trempe la culotte dans l’eau, la maltraite avec le pain de savon, frotte les tissus l’un contre l’autre, avec force, détermination pour enlever toute trace de la journée.
Petite culotte blanche du jour, tachée par le sang qui marque la fin de l’enfance. Elle ne connait pas le mot puberté mais elle s’y engouffre seule, sans transmission maternelle puisque mère il n’y a plus, dans les coulisses du pensionnat, au creux d’une chambre étrangère où rien ne lui appartient. Effacer les marques de femme, énergiquement, poing serré contre le règlement : interdit de laver ses vêtements dans le lavabo sous peine de sanction. Elle prend le risque, rince le savon, tord la culotte, en extrait la dernière goutte d’eau sous ses doigts qui blanchissent aux articulations.
Delta de chiffon mouillé, propre et immaculé, elle respire enfin, essuie la larme de rage qui s’échappe de sa solitude. Elle vit tout comme une injustice : la pension, les défendus, les règles (d’ordre et d’ovaires), l’abandon. Elle fait trois vœux : rentrer à la maison, rentrer à la maison, rentrer à la maison, et inlassablement, le répète au carré, au cube, pour conjurer sa misère. Derrière ses seins naissants, un estuaire d’espoir creuse sa colère. Elle secoue le linge, le laissera sécher sur la tête de lit. Sa peur s’envole. Elle sent naître en elle un ruisseau de résistance. C’est la nuit, elle s’étend dans ses draps, jette un regard vers le tissu qui veille sur son sommeil. Demain, elle le cachera dans sa table de chevet pour achever son refus de résignation.
Culotte. Ce mot commun à toutes les (nos) histoires de femmes. Merci pour ce texte incisif.