Des années que le vieil homme choisissait avec soins les morceaux d’étoupe — des années qu’il chauffait patiemment le goudron de pin — des années qu’il s’efforçait à coups de maillet à rendre étanches les interstices du pointu sur lequel jamais il ne prendrait la mer — cette barque était son rêve — les fissures de ses bois, les points des bordages, les plaies du temps, infimes ou béantes, de la coque au pont, se ressemblaient toutes — unique forme d’un appel — forme multipliée d’un même cri — infinie reproduction d’une déchirure — calfater, seul geste possible du vieil homme — sa seule mission — son destin — par fort vent d’ouest, il s’interrompait parfois — quand ce vent profile les nuages comme des os de seiches — le vieil homme les contemplait longtemps — fou rêveur — imaginant que ces lenticulaires seraient l’étoupe idéale pour guérir les trous de sa barque et de sa mémoire
Calfater la vie, la barque et la mémoire. C’est fort.
Merci Françoise de ton passage et retour. Pour ramer sur cette consigne, j’ai choisi une barque. Sans rame et pleine de trous. Pour au final bidouiller avec des morceaux de nuages et du goudron. C’était ça ou prendre la fuite.
Un très beau texte . La reprise du geste d’un fou rêveur… matière à une petite nouvelle ! Merci Ugo
Merci Nathalie de votre encourageant retour. Petite nouvelle ? A vous de l’écrire peut être. Pour ma part, je sais qu’avec mon rêve-barque, ma tentative de nouvelle ne tiendrait pas la mer longtemps.
oh que j’aime, Ugo !
et puis même si la canot et l’homme ne sont pas encore vieux, un marin ça peint toujours disait mon père (comme ça a toujours un canif sur soi)