La vieille lui dit de déposer le paquet sur la bibliothèque. La jeune fille ne sait pas d’abord à quoi elle fait référence. Elle n’a vu aucune étagère. En jetant un regard circulaire, elle s’aperçoit qu’il y a un seul meuble dans la pièce, énorme, qui s’étale sur tout le mur. La bibliothèque compte plusieurs portes, et un renfoncement carré au milieu dans lequel est encastré un poste de télévision, sur lequel trône un vase en forme de cheval garni de fausses fleurs entre les deux oreilles, le cheval cabre sur ses deux pattes arrières. On a glissé un napperon entre cette statuette et la télévision, pour protéger le cadre du téléviseur, ou bien simplement pour faire joli. Le napperon descend en pointe sur l’écran, ne gênant pas réellement la vision, ou du moins doit-on y être habitué. La vieille y est habituée. Certaines portes de la bibliothèque sont vitrées, et laissent voir d’autres napperons, d’autres vases, des dragées enfermées dans du tulle blanc ou rose, des cadres photos. D’abord un grand cadre, format A4, le portrait d’un homme à la coupe à la brosse, en noir et blanc, on devine le col de sa veste aviateur, il ne regarde pas l’objectif, de profil, surement celui qu’il préférait, un nez formant un angle droit qui pointe un peu vers le haut, montrant qu’il connaissait sa valeur, ou qu’il se surestimait. Puis, quelques petites photos, de bébés, de de jeunes adolescents posant avec un chien, un berger allemand aux oreilles droites, près d’une piscine. Les photos sont accessoires dans cette bibliothèque où les éléments rois sont les services à café. Une cafetière blanche, en porcelaine, sur laquelle est dessiné un bouquet de fleurs, est entourée par ses tasses assorties et leurs sous-tasses. Le bois est protégé par un napperon avec un nœud rose à chaque pointe. La bibliothèque, (elle le sent lorsqu’elle pose le paquet sur une des étagères encore libre près d’un cendrier où s’entassent la poussière, deux trombones, un papier jauni et une épingle à nourrice ouverte, calé contre une bonbonnière vide), est branlante, elle tangue de droite à gauche en crissant, mais elle tient debout, remplissant de sa largesse et de sa hauteur, le mur, et la pièce.
-Il n’y a pas de livre dans cette bibliothèque ?