Silence exceptionnel ce soir. Le vent ne souffle plus. C’est du répit gagné sur le ciel jaune de sable dehors, chargé de colères mortes et de renards abandonnés par leurs mères, laissés à leurs plaintes au sommet des dunes douces, offertes aux regards avant chaque atterrissage (et il y en a beaucoup, des atterrissages, l’avion étant le principal moyen de quitter cette ville si l’on n’a pas le temps pour un voyage interminable sur la route qui va de Tanger à Dakar, parcourue de camions énormes chargés souvent de plus de deux fois leur hauteur). Silence exceptionnel, et chaleur encore qui est restée de la journée, s’est invitée entre les murs de la maison cube. C’est le haut de l’escalier. Souvent je m’arrête là, en haut, un pied sur la dernière marche, l’autre sur le palier et je regarde la plinthe qui court sous les panneaux des placards fraîchement vernis pour notre arrivée. Dans la position du guetteur. Blanche la plinthe, en haut de l’escalier, recouverte de poussière ocre fine, poudrée de perlimpinpin, c’est le tiroir secret du vent ce recoin aux minuscules creux et bosses de plâtre lissé, mais pas tout à fait lisse, qui garde dans ses irrégularités la trace de la main qui l’a étalé sur le béton nu quand la maison était vide encore. Quand elle résonnait des bruits du neuf, de l’écho qui part du sol au plafond, du ventre au menton pour signifier le creux le à combler. Le plâtre vit, micro monde lunaire où la poussière s’accumule sans être délogée, trésor caché que moi seule connaît, qui l’épie chaque jour pour en déterminer soigneusement le niveau acceptable, celui où elle est rassurante, présence débonnaire du désert, elle m’importe – m’emporte – quand bien même je ne le souhaiterais pas, d’être ainsi portée hors de la maison malgré moi, par ce grand vent. Ocre, fine, douce au doigt, rétive aux poils trop drus de la brosse chinoise achetée au souk, plus pigment que poussière, de la même teinte que les veillées hollandaises des peintres flamands. Elle est chaude comme une soirée d’automne quand tous les bruns les ors se confondent se confortent dans les échos des feuilles qui ont craqué mortes comme du papier bible que l’on aurait jeté au feu par mégarde, ou par mésusage. Elle s’insinue se love s’attache aux grains du plâtre tout doucement sans bruit aucun, à la façon d’un voile invisible qui peu à peu barbouille d’une autre couleur le regard porté sur le reste de la maison, louée pour trois années, presque vide et qui doit le rester car il faudra repartir sans avoir accumulé ni objets ni meubles – pour pouvoir repartir, dignement, sans courber le dos sous le poids de l’inutile. Sommeil de la poussière de sable au bas du grand mur blanc éclatant pas lisse, mais lissé, mais mal lissé, où s’accrochent des gouttelettes blanches qui racontent l’histoire de quand il fut peint, rapidement et sans l’échelle nécessaire, avec l’escabeau branlant seulement, métallique qui a laissé des rayures que l’on ne voit qu’au soleil le matin sur les grandes dalles du carrelage. La poussière tassée sur la plinthe est la seule présence vivante du palier dénudé immobile de blancheur et de céramique lavée. Petit tas chaud de grains, pelage et respiration du désert, animal sourd animal lourd à fortes pulsations – on ne l’oublie jamais, même lorsqu’il se terre ainsi sur une plinthe – et la fenêtre au-dessus de la plinthe gémit le soir du bois fatigué des huisseries recouvertes de couches épaisses de peintures blanches, coulées dans les angles à la recherche d’un refuge, sous la plainte du vent – c’est moi qui l’entend qui la chante, qui l’enchante. Sur les grands carreaux carrés comme les pages d’un album nu qu’il faudrait colorer ou écrire. Écrire la marche de chaque journée qui s’étale nappe sur ma mappemonde intérieure, quitter la dernière marche de l’escalier, se lancer sur le palier nu, accrochée seulement aux petits grains du petit tas de la poussière des dunes.