Dans le salon, sont un parquet et une petite lampe d’albâtre posée sur l’étagère de la bibliothèque. Les lattes cloutées selon un agencement en quinconce, laissent apparaître en leurs interstices les lambourdes, comme une peau mince et fine révèle les veines et l’ossature du squelette. Divers objets s’y amoncellent – perles, aiguilles, clous, épingles à cheveux. Autrefois, des ficelles et de la sciure de bois mêlée de colle jointaient les lattes entre elles. Du fait de gonflements et rétrécissements successifs, l’alignement initial s’est perdu. Les joints tombent en poussière. On aperçoit encore quelques résidus de colle. Soigneusement sélectionnées et découpées dans le duramen, les planches récemment poncées et vitrifiées sont homogènes et sans nœud. A leur extrémité, le vitrificateur s’est diffusé par capillarité dans l’épaisseur du bois colorant le chêne d’une teinte plus foncée. La fenêtre ouvre sur un ciel sombre, éclaire le plancher dont les lignes sont interrompues ça et là par l’ombre portée d’une chaise en osier, d’une table, d’une bibliothèque et le rectangle coloré d’un tapis de laine. C’est un tapis bédouin orange, blanc et noir aux motifs géométriques. A l’opposé, la lampe d’albâtre verse dans la pièce une lumière douce, qui se glisse à travers la bibliothèque et se répand sur le sol sans que l’on puisse déterminer nettement la ligne de démarcation entre la portion éclairée et les recoins plus obscurs de la pièce. Au toucher, le bois est lisse et produit, sondé, un son sec et profond. Certaines lattes grincent sous le pied et se tordent légèrement en un mouvement souple. Un parquet identique est posé dans la chambre. Dans l’encadrement de la porte, de courtes planches vraisemblablement plus récentes séparent les deux pièces. De part et d’autres de la cloison, une forme aux contours plus sombres laisse deviner l’emplacement d’une cheminée et l’ancien agencement de l’appartement. Au fond de la pièce, à proximité d’une canalisation encastrée dans un coffre de bois certaines portions déformées portent la trace d’inondations anciennes. De sous les lattes et au bas des murs, un courant d’air froid remonte et circule entre la pièce et l’appartement du dessous. La structure de la table en formica est incomplète, et s’ouvre sous le plateau sur le tiroir absent. Un large canapé en bois de hêtre recouvert de couvertures regarde la fenêtre. Les murs sont nus à l’exception d’un naïf dessin d’oiseau sur fond bleu. A mesure que la lumière faiblit, la petite lampe prend des allures de phare. A l’extérieur coule une pluie grasse et le fleuve se remplit. Insensible à l’érosion, préservé de l’humidité, animé de mouvements subtils et lents, le bois de chêne issu des forêts de Bourgogne ou du Val de Loire luit sous les feux discrets de l’albâtre extrait des carrières d’Égypte. Enchâssée dans la respiration fantomatique de la matière, agitée de pulsations rapides, battements de coeurs, battements de veines, inspirations, expirations, une femme est assise. Et l’on croirait voir ainsi dans la pièce faussement immobile, la souris tout contre l’éléphant.
Comment d’un parquet, on part dans les images…merci Marion. Et j’aime la femme assise, le début d’autre chose.
Merci Clarence, et ravie de voir que tu as réussi à aller jusqu’au bout. Parce qu’on parle quand même… d’un… parquet?!…
je ne peux m’empêcher de noter comme une ressemblance avec « ma » femme assise dans la cuisine depuis le premier épisode de ce cycle Roman sans compter les craquements de « mon » plancher
Observations qui nous rapprochent…
Je m’en vais lire cela ! De mon côté c’est une projection, on tourne autour de soi-même ou des personnes que l’on a côtoyées ou suivies quand on ne sait plus par quel bout prendre l’exercice. Et hier mes yeux sont tombés sur le parquet. On sent d’ailleurs qu’il fallait écouter François et plutôt faire l’exercice en plusieurs jours le temps de dérouiller l’imaginaire et la langue, elle commence à peine à trouver sa musicalité à la toute fin du texte.