Le portrait accroché au mur dans son dos est encadré de bois clair et de taille moyenne, dessiné au pastel sur un papier vert de gris. C’est un portrait fait du temps de son adolescence par un peintre impressionniste qui trouvait son visage intéressant et lui avait proposé d’en dessiner les contours à la fin d’une journée de stage. Elle avait accepté comme elle disait oui à toute forme d’attention qu’on lui portait, avait gardé sur le dos la chemise de son père qui lui servait de blouse et s’était installée sur un tabouret haut, pendant qu’il portait son regard sur elle en contreplongée. Au retour du stage sa mère l’avait encadré, et accroché dans sa chambre près de son lit. Elle l’a oublié et c’est bien plus tard qu’elle a repensé à ce portrait et le souhait de cet artiste de la dessiner, au moment où dans sa vie elle était de nouveau plongée dans son intériorité pour démêler les fils de ce qui s’était passé. Quand elle regarde le visage de trois-quarts au regard haut, elle y voit une détermination à dépasser une certaine forme de mélancolie dans laquelle elle avait pris l’habitude de se couler. Si l’art est là non pas pour recopier mais pour exprimer alors ce peintre avait capté un aspect de sa personnalité, lui avait donné de l’attention, pure générosité, l’avait regardé elle et l’avait représentée là, qu’avait-il vu qui avait éveillé sa curiosité ? elle se le demandait encore. Il s’était inquiété de ce qu’elle voulait faire plus tard, sa fille a lui allait faire des lettres, elle se souvient l’avoir enviée sans pouvoir faire le lien avec son propre désir, atrophié et hors de portée, elle ne savait pas.
Récemment, elle est allée visiter sa grand-mère dans sa chambre nouvellement aménagée à l’Ehpad, elle venait de récupérer une photo d’elle enfant, souriante, le visage ouvert et tourné vers les adultes qui la photographiait “tu as vu comme j’ai l’air heureuse ?” Elle qui avait traversé des traumatismes à plusieurs périodes de sa vie en était comme étonnée, sans ressentiment, elle avait été saisie au cœur par ce retour à soi enfant à plus de 95 ans. C’est à ce moment là qu’elle a repensé au portrait et à cette adolescente au regard tournée vers l’avenir, l’avait-elle déçue ou continuait-elle à s’appuyer sur sa détermination farouche à porter son visage haut et soigner ses blessures intérieures du mieux qu’elle le pouvait ? Les petites châtelaines au regard fier et au visage ouvert ont un sérieux dont elle ne finira jamais de faire le tour.