La sonnette du …(adresse à préciser)… n’est pas une sonnette sur laquelle on appuie machinalement. Elle offre au doigt un joli petit bouton tout rond en laiton sur mamelon en marbre noir veiné de gris. Le petit facteur aime d’abord la caresser du regard, en faire le tour avec le bout de l’index pour apprécier sa texture polie et satinée, avant d’enfoncer légèrement le bouton qui envoie quelques notes de carillon de l’autre côté de la porte. Il y a quelque chose de magique qui émane de cette transmission à travers les pierres calcaires du mur, quelque chose qui donne un avant-goût du récit qui s’écrit à deux pas d’ici, au-delà de l’entrée. Pas de réponse. Le petit facteur presse le bouton tout rond en laiton une deuxième fois et laisse son doigt dessiner les contours de la sonnette. Sur le marbre, les veines grises dessinent un masque malicieux, qui se rit de lui, c’est en tout cas ce qu’il a l’impression d’y voir tandis qu’il attend un colis à la main. Il tend l’oreille, baisse la tête, à ses pieds un paillasson usé en son centre, usure due à la conscience de semelles bien élevées qui prennent le temps de se frotter aux crins du tapis avant d’entrer. Pour se donner une contenance il vérifie le nom sur le paquet, il n’est pas orthographié comme sur la plaque en laiton au-dessus de la sonnette. Plaque impeccable, nom gravé dans une écriture sobre, droite assez ronde elle aussi, qu’il connait bien pour l’avoir lue de multiples fois un colis à la main. Pas de réponse. Il se donne une dernière tentative sachant que le propriétaire est un homme en fauteuil roulant. Il compte jusqu’à vingt et pose le doigt sur le bouton tout rond en laiton. C’est à ce moment-là qu’il aperçoit du noir sous l’ongle de son index. Il lance rapidement le carillon et anxieux retourne la main paume vers le haut, doigts pliés, pour contrôler ses ongles. Ils sont sales. Il est honteux. Il lance un regard vers la sonnette. Le masque rit de bon cœur.
Plein d’ingrédients pour un roman dans cette sonnette et ce qu’elle masque…