Au mur, d’illisibles inscriptions, une sorte de flèche, peut-être un cœur, une lettre (un F, ça se pourrait), les vestiges d’un amour oublié, Cupidon anonyme d’un temps effacé, ce F est-ce que c’est Florida, mais Florida n’avait pas le temps d’aimer les garçons, et ces illisibles inscriptions gravées dans la molasse, il faut à tout prix les déchiffrer, tenter d’en comprendre le sens, mais la grotte désormais vide ne livre pas si facilement ses secrets, ces inscriptions restent illisibles pour quiconque ne les a pas gravées, la flèche est peut-être une lance, un javelot, et ces inscriptions dateraient de ces temps très reculés, le temps des troglodytes, le temps de l’art pariétal, le temps des chasseurs-cueilleurs, des shamans et des hommes de Neandertal, ou alors cette flèche et ce cœur et ce F, c’est avant-hier qu’un amoureux fou les a gravés et c’est hier qu’éconduit il les a mutilés, car on ne peut pas affirmer avec certitude qu’il s’agit bien d’une flèche et d’un cœur et de la lettre F, peut-être est-ce un E inachevé ou un P, et si pour être plus sûr tu tentais d’effleurer la paroi de ta main tout s’effacerait, parce que la molasse et une roche friable et quand tu entres aujourd’hui dans la grotte tu ne peux pas imaginer les quatre enfants, puis les trois, couchés sous la couverture, et peut-être est-ce Gaspard le graveur, et le cœur peut-être était-il destiné à Séraphine dont le mari, des années plus tard s’appellera Placide, et elle serait revenue, après le départ de ceux à Jolliet, dans la grotte désertée y écrire le nom du fiancé, et ce F serait bel et bien un P, et si elle avait écrit les initiales en entier ce serait PF, Placide Francey, l’arrière-grand-père de celui qui écrit ces lignes, mais on a beau les observer à la loupe, ces inscriptions sur le mur restent illisibles, ce ne sont à tout jamais que des traits et ce cœur, et cette flèche, c’est notre cerveau qui l’invente, ce cerveau qui a si peur du vide, mais allons y regarder d’encore plus près, tentons de nommer la couleur, quelque part entre le vert et le brun, ou le gris, et non loin il y a ce caillou coloré, peint en rouge, en jaune, en bleu, et du noir aussi, traces du feu qu’ils allumèrent jadis, ceux à Jolliet, ceux de Neandertal, mais il faut revenir aux inscriptions, les fixer longtemps, les sentir bouger, traits devenus vagues, flèche décochée, courbée, volante, cœur transpercé, voir le sang couler de ce cœur, et pour Florida, croire au miracle, le Sacré-Cœur de Jésus, se mettre à genou devant les inscriptions, ne pas les comprendre mais les vénérer, méditer sans cesse leur mystère, et ces traits sont une croix, on fait le signe, la présence ici, ce n’est pas seulement quatre enfants sous une couverture, c’est l’univers, c’est Dieu, une grotte est un temple, mais l’œil avisé sait que non, que ce ne sont définitivement que des traits, une illusion de flèche, une apparence de cœur, que l’on n’est pas sûr que ce soient des humains les auteurs de ceci, un animal s’est frotté au mur, il a laissé ces traces qui se sont fossilisées, mais non, ce sont bien des hommes, des femmes peut-être, des enfants sans doute, qui sont à l’origine de ces traits, ils ont voulu nous transmettre quelque chose mais le temps détruit tout et nous en sommes réduits à divaguer, à ne jamais arrêter de fixer ces signes, à ne jamais arrêter de les tordre pour leur donner du sens, et au bout d’un moment on s’endort, et ce cœur, cette flèche, on voit celle à qui on les destine, on lui court après, on la chasse, on se réveille en sursaut, on croit avoir trouvé, on regarde à nouveau, ça n’a rien à voir, la nuit couvre le mur, on ne voit plus rien, la lampe de poche ne marche plus, il n’y a jamais rien eu sur le mur de la grotte.