La baie vitrée, cadre de palissandre aux carreaux poussiéreux ouvrent sur un horizon de mer qui s’évapore et fusionne la brume. Là devant un jardin d’herbe drue tel une tignasse de cheveux dans laquelle nos doigts ne peuvent se frayer un chemin, un éden habité par des frangipaniers aux troncs à hauteur d’homme et aux branches à l’écorce lisse marqués par les cicatrices : le passage des ans, des acètes au feuillage rare, à la nudité gracile nous invitent en leur parfum acidulé et suave, à s’y frotter comme un chat recherchant la caresse… Leurs fleurs exotiques dont chaque pétale, chaque limbe est une énigme, étoiles filantes de velours, elles savent leur beauté frappée de l’inéluctable rouille du temps deux ou trois jours à peine et leurs corolles émerveillées cèderont à leur destin, leur existence nous enseigne la valeur des instants fugaces, ici le temps se dilue dans l’air ; se côtoient l’ombre et la lumière que le vent vient frôler d’un murmure, le chuchotement d’un mouvement symphonique entre le ciel et la terre. Un bouddha en pierre blanche une peau rugueuse sous les doigts, allongé, le chignon dressé en colimaçon, ses lèvres dessinent un sourire, la tête appuyée sur sa main droite, les paupières closes et bombées, repose sur un socle, rectangle sculpté de signes en prâkrit, le corps enveloppé d’une tunique rayée peut-être des plis ? il veille devant la forêt de bambous.
Une silhouette discrète dessinée par le vent et le soleil, au visage délicat, les cheveux retenus par un foulard safran, vêtue d’une robe de soie aux motifs floraux que la brise soulève, s’adonne avec une douce détermination en artiste, sa plume sur le papier, elle avance avec son pinceau-balai de fagot lié par une ficelle, repousse les fleurs fanées d’un geste assuré, son regard embrasse chaque recoin en perpétuelle mutation saisissant quelques détails éphémères ; sous les arbres elle passe de l’ombre à la lumière qui se reflète dans les brins d’herbe, les feuilles pareilles à des papillons virevoltent en un ballet désordonné, tentent de s’élever à nouveau dans les airs créant des ombres mouvantes sur le sol brûlant, elle les pique d’une pointe métallique et continue son ouvrage. Elle semble être la gardienne de ce lieu qui bien plus qu’un jardin est une danse sur ce cycle sans fin de la nature où chaque chute de feuille ou fleur annonce la promesse d’une nouvelle floraison.
Comme j’aime cet endroit chère Raymonde, qui me plonge dans la compagnie des frangipaniers que je ne connais pas. J’ai dû en croiser seulement au Parc de la Tête d’Or dans la section Botanique à Lyon, mais ils étaient sans doute étouffés au milieu des autres essences… Et puis ce boudha lascif et souriant,et enfin cette balayeuse soigneuse et presque onirique… pour veiller sur
» Leurs fleurs exotiques dont chaque pétale, chaque limbe est une énigme, étoiles filantes de velours, elles savent leur beauté frappée de l’inéluctable rouille du temps deux ou trois jours à peine et leurs corolles émerveillées cèderont à leur destin » .
Ce texte est doux et apaisant qui nous fait promesse « d’une nouvelle floraison »… C’est pourquoi il y a tant de petits boudhas dans ma vie faute de frangipaniers.
Merci Marie-Thérèse, les fragrances du frangipanier transportent ailleurs, je tenterai, je ne sais encore pas comment à vous les partager.
C’est beau ce texte qui parle du temps qui se dilue dans l’air. A sa lecture on ressent une paix immense. Là, tout où est vivant et mélangé (dilué ?) la végétation, les odeurs, et « chaque chute de feuille ou fleur annonce la promesse d’une nouvelle floraison ». Merci.
Merci Françoise d’avoir pris le temps de me lire…