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« Un soupir long, régénération anatomique, géométrie et physique en mouvement»
Actes de Marie.
Les rituels de Marie s’allongent en temps sans perdre en intensité, un jeu d’équilibre grisant d’oppositions jouissives face à l’amplification des néants quotidiens. Elle défie ces moments absents, les doigts dans la terre à ressentir le craquement sourd des racines ; lorsqu’elle observe le mouvement d’une mouche posée sur l’un de ses bras – danse complexe à l’espérance saline ; quand elle traverse la cour pour se rendre dans la remise à la recherche de boutons, perles, fils, crin et diverses accumulations rapportées par Pierre après ses chinages. De quoi tenir plusieurs vies futures. Marie refuse les concessions pleines et entières, elle se bat grand, mobilisant chaque fibre de sa physionomie compacte. Elle y puise la force de se vêtir dans l’équité : la peau à égale senteur d’un chemisier, d’un pull, d’une robe, d’un châle, cet ensemble propre d’un savon sans effluves autre que la simple chimie. Socle, base du tout, bienfaits du propre en une invocation d’huiles et de soude sur l’épiderme. S’en enduire apaise la confession du ciel, la grisaille de l’âme, la crasse existentielle inexistante. Cette tâche achevée, avant de s’habiller, il lui faut encore se passer les genoux et le coude tuméfiés à l’alcool camphré. Haut-le-cœur depuis que le plus jeune de ses petits-fils en a ingéré — deux jours plus tôt — l’équivalent d’une cuillère à café, depuis que le plus jeune des petits-fils en a suffoqué l’équivalent d’une cuillère à café, à cet âge ans de trois ans, rien de grave… sauf la panique et pour lui l’implacable traumatisme à vie. Il ne supporte plus la moindre évocation olfactive du camphre sans se piquer une crise d’angoisse en sprint, sa transe impersonnelle, il s’y perd souvent, de plus en plus fort.
Personne n’a compris comment cet enfant de trois ans a réussi à atteindre l’armoire à pharmacie de cette pièce sous comble, alors que son père, Abel, travaillait juste à côté de lui. Un moment d’inadvertance a suffi pour que le môme joyeusement turbulent défie la gravité du moment, escalade une chaise, le dessus d’une coiffeuse, ouvre au bout de son périple une petite porte miroir en un clac sec, s’empare d’une bouteille au hasard, parvienne à en dévisser le bouchon… et boive ce liquide pourtant incommodant, ce foutu camphre ! Une chaîne d’événements totalement impossible… jusqu’à la suffocation. Ces goulées d’air manquées et hoquets, Abel les entend, il se précipite, secoue son benjamin, l’aide à respirer.
Marie frisonne intérieurement, une ondée vite chassée grâce au mantra de la terre racine. Il lui faut terminer de se soigner, d’enfiler de nouveaux pantys, de s’habiller, de placer avec justesse ses pinces à cheveux. Il est bientôt midi, l’heure de se rendre chez Abel afin d’embrasser ce petit-fils d’un baiser de tourbe, d’humeurs de pluies d’été, de l’air libéré et d’une tendresse enflammée.
Cent cinquante mètres séparent sa maison et celle d’Abel, à mi-chemin elle passera devant la maison de la rosse et se signera, observa avec admiration la façade de la maison de Rick Wouters, pensant une fois de plus à l’odeur de l’aquarelle.