Plus que l’odeur c’est la chaleur, l’autobus chauffé à blanc, soleil au zénith. C’est l’odeur de son adolescence, ce n’est que plus tard, sous d’autres latitudes, dans d’autres autobus qu’il pensera odeur, quand il n’y en aura plus, qu’il n’y aura plus que celle des après rasages, des déodorants des parfums aspergés pour éloigner, détruire l’odeur des corps. Mais là, dans cet autobus, c’est comme les mots, un vacarme de sons mêlés les uns aux autres, mots incompréhensibles, comme un murmure de haut niveau sonore et cette foule presque sans individu, tellement serrés un seul corps, l’odeur de tous, c’est son odeur. Il est bien, personne ne fait attention à lui, personne ne sait qu’il est là, petit corps coincé entre fesses, jambes, corps sombres. C’est quand il n’est pas ici, quand il est en vacances, l’usine à vanille, les plantations d’ylang-ylang, un spectacle, ses parents l’emmènent là pour lui faire sentir une véritable odeur qu’il ne sentira pas ailleurs, une odeur à retenir. Pourtant à vue de nez, à hauteur d’aisselle, il doit bien y en avoir une d’odeur celle de l’effort dans la chaleur, de la peine, de la vie difficile, du retour du labeur. Plus tard, ailleurs, ce sera une odeur-souvenir, occasion de discussion nostalgique, de souvenirs coloniaux, les soirs on se dira — Et ces odeurs de la rue, du marché, des épices, des autobus, tu te souviens ? Et là, il se souviendra, il dira — Ils disaient qu’on sent le cadavre, qu’on n’a pas d’odeur. Il se souviendra mais pourtant lui il n’a jamais entendu personne dire ça. Ce sera une façon de serrer les rangs, de se sentir différents, de dire eh oui, on n’était, on n’est pas comme eux, ils se sentiront sûrs d’eux.
C’est le soir, la pluie de mousson tombe drue sur la terre brûlante. L’odeur des corps, du grand corps dont il fait partie, son odeur ne l’émeut pas plus que ça. L’odeur de la latérite mouillée, il n’a jamais assez parlé du bonheur qu’elle lui donne, odeur de liberté. Elle ne lui appartient pas.
Merci, pour ce voyage et ses parfums.
merci d’avoir ouvert le bal !
Enfouir sa propre odeur dans les autres odeurs est une trouvaille littéraire épatante.La discrimination entre les effluves est pourtant bien marquée jusqu’à cette odeur de latérite, complètement insolite. La vanille et l’ylang ylang, les épices… soulignant entre temps la provenance lointaine. La nostalgie opère, rien ne sent le cadavre dans ce texte.Et mes narines en redemandent. L’exercice étant un peu contraint , j’espère que vous allez pouvoir déployer les silhouettes de l’autobus sous d’autres critères que l’odorat.