Elle colle son nez à l’épaule pour renifler son aisselle. S’est isolée dans les toilettes, a retiré sa veste, dégrafé sa chemise. Elle renifle l’autre aisselle, aspire sa moiteur aigre de bergamote. Elle renifle aussi le creux des coudes, l’intérieur des poignets, sur les veines la senteur estompée d’une goutte de parfum. Ce n’est pas ça, l’odeur qu’elle cherche, l’odeur un peu brûlée qui affleure, elle a beau frotter son corps, elle affleure encore, brosser sa peau à la faire rougir ne suffit pas, toujours l’odeur revient, elle flotte tout autour, elle doit se déposer quelque part mais où ? Elle renifle ses doigts, la paume des mains : une senteur de plastique neuf. Elle respire les longueurs de sa queue de cheval. Sous les parfums d’herbes coupées et de romarin laissés par le shampoing, des relents de la ville, un fond d’odeurs lourdes qui rappellent l’odeur qu’elle cherche à repérer. Elle renifle plus fort ses cheveux, inspire leur épaisseur, il y a là comme une fadeur de vase imprégnée de fumée. Une chaleur monte tout à coup, monte à ses joues, une chaleur vénéneuse comme la sueur des marais et des fruits pourrissant. L’odeur-fantôme. Elle semble envahir la pièce, partout et nulle part à la fois, elle l’entoure, entêtante, elle va s’accrocher à ses cheveux, à ses vêtements. Il n’y a pas de fenêtre dans cet espace réduit, juste un pulvérisateur de lavande synthétique à côté des toilettes, elle l’attrape, appuie sur le diffuseur, un maigre nuage se disperse dans l’air. Elle ne veut pas être engloutie dans l’odeur-souvenir. Elle retrousse ses manches, ouvre le robinet, presse plusieurs fois la pompe du savon qui coule au creux de sa paume. Elle malaxe longuement ses mains, ses avant-bras, dans ces effluves de vanille presque écœurantes mais qui peu à peu chassent l’odeur-fantôme. Elle essuie ses mains et reprend sa veste accrochée à la poignée de la porte, son odeur de textile neuf pas encore imprégnée de l’humeur aseptisée des open spaces.
Comment le passé devient un présent palpable, réel, par cette recherche inquiétante d’une odeur qui n’existe que dans la mémoire. Très réussi ! Merci, Muriel !
Ton texte aussi parle de la mémoire d’une odeur ! Dans l’univers d’Adrien, avec tes mots, mais il y a une similitude du thème, qui est puissant et que je suis contente d’ouvrir grâce à François. Merci Helena pour ton retour !
cette odeur fantôme demeure pour moi mystérieuse, à quoi s’attache-t-elle ? à quel personnage ? à une femme un homme ? à quelles scènes anciennes ?
tu écris « sueur des marais et des fruits pourrissants »
donc une odeur reliée à la nature, au paysage, à un lieu donné de son existence d’enfant ou d’avant… en tout cas elle la chasse
(mais j’ai peut être loupé quelque chose dans mon déchiffrage… espaces ouverts en tout cas…)
je te suis toutes senteurs en action !
Pour moi aussi, cette odeur reste en partie mystérieuse même si elle s’est imposée avec force. Je crois qu’il y a un rapport avec la mère de L., je pense qu’il va falloir aller creuser dans les douloureux secrets de L. et je dois dire que ça me fait un peu peur (ai un peu évité jusque là).
Merci pour ta lecture Françoise !
J’aime bien l’odeur fantôme qui ferait écho à une douleur fantôme !
Oui c’est bien ça une odeur fantôme en écho à une douleur fantôme. Merci pour votre lecture Olivia.
Cette persistance olfactive en acte, odeur souvenir odeur question sans repère et pourtant si riche de notes ( tête, cœur, fond jusqu’à l’angoisse) leur emprise . L’inquiétude monte vraiment. Merci Muriel.
Merci beaucoup pour ton écho Nathalie