Je n’ai pas assez parlé de cette odeur. Je n’en ai même jamais parlé. Vous êtes assis sur la plage à regarder droit devant vous pendant que la nuit arrive et tout à coup vous vous mettez à penser à l’odeur qui vous entoure. À moins que celle-ci soit particulièrement forte, il y a bien une raison. Parce que, évidemment, j’ai oublié de vous dire que vous êtes un personnage de fiction. Donc, vous vivez dans un roman et vous vous demandez tout à coup qu’est-ce que ça peut bien sentir. Dans un roman, de façon générale, l’apparition d’une odeur poursuit un sens particulier. À moins que ce ne soit un roman sur les odeurs. Pourquoi pas, finalement, vous pensez à l’odeur. Je ne fais que taper sur le clavier de mon ordinateur ce qui vous passe par la tête. Je dis vous mais c’est plutôt mon personnage. Je lui-vous fais confiance.
Je n’ai pas assez parlé de cette odeur d’iode qui pèse sur tous les bords de mer. Je dis iode pour que vous l’imaginiez, on sait tous ce qu’est une odeur iodée. C’est un peu idiot parce que l’iode, personne d’autres que les chercheurs n’en jamais vu et il parait en plus que ça n’a pas d’odeur. L’eau salée non plus d’ailleurs. Ce qu’on sent au bord de la mer, c’est la décomposition de tous les végétaux qui s’y trouvent, du phytoplancton aux algues. Dans le package, rajoutez un peu d’huile de moteur, des relents de crème solaire, un zeste de transpiration bien acide et vous avez l’odeur de l’iode. Je n’ai pas assez parlé de cette odeur de décomposition végétale et d’additifs polluants.
Je n’ai pas assez parlé de cette odeur de vacances non plus. L’odeur des autres. L’odeur des vacances, c’est celle des autres. Des barbecues où les saucisses carbonisent, la friture des beignets, le sucre des barbes-à-papa. Un hymne à la bouffe juste avant de disparaître dans les estomacs des occupants du bord de mer. Les touristes, les passants, les personnages de fiction. Sauf ceux qui sont assis sur la plage à regarder droit devant eux en train de se demander ce qui peut bien sentir aussi fort. Mais il faut être honnête, ils ne sont pas beaucoup. C’est sans doute pour cette raison que je ne parle pas assez de cette odeur des surplus de consommation.
Je n’ai pas assez parlé de cette odeur que j’ai au bout des doigts lorsque je tape sur mon clavier. Côté bonnes odeurs, il y a du café. Les autres odeurs ne sont pas terribles, ça sent le chaud, le renfermé. On ne se lave jamais assez les mains me disait ma grand-mère. Je n’ai pas assez parlé de cette odeur que vous avez au bout des doigts, une odeur d’oignons fraîchement tranchés, de thym que vous venez de ramasser, de savon encore parfumé. Je n’ai pas envie d’imaginer les autres odeurs, vous êtes un personnage de fiction après tout.
Ulysse est assis sur la page, les jambes dépliées devant lui, appuyés sur ses mains posées derrière. Et puis, il y a cette odeur qui l’éveille. Une odeur commune, générique, l’odeur de la plage. L’odeur ne lui évoque rien. Pas de souvenirs d’enfance, de sentiments amoureux. Par contre, l’odeur l’intrigue. Ulysse sait bien évidemment qu’il est un personnage de fiction et qu’il s’il sent quelque chose sur cette plage, cela doit avoir une raison. Mais il n’en trouve pas. Il n’y a bien que dans la réalité qu’un homme ou une femme peut sentir l’odeur de la plage sans aucune raison. Alors Ulysse se dit que, peut-être, il n’est plus un personnage de fiction.
» Donc, vous vivez dans un roman et vous vous demandez tout à coup qu’est-ce que ça peut bien sentir. Dans un roman, de façon générale, l’apparition d’une odeur poursuit un sens particulier »
On est bien à l’intérieur de la tête d’un personnage dans ce texte et je me demande s’il est heureux ou non de ses perceptions et satisfaits de ses connaissances sur l’origine et l’intérêt de ce qu’il sent à défaut de ressentir. Ulysse sur sa page d’écriture attend peut-être les consignes de l’horizon, et j’espère qu’il va pouvoir se lever comme un fantôme efficace pour aller dire quelque chose de nouveau à Pénélope, qui tisse à perte de patience à l’ombre de ses doutes & espoirs. La vie (même fictive) est si courte et les odeurs rassurantes si fugaces .
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. » Donc, vous vivez dans un roman et vous vous demandez tout à coup qu’est-ce que ça peut bien sentir. Dans un roman, de façon générale, l’apparition d’une odeur poursuit un sens particulier »
On est bien à l’intérieur de la tête d’un personnage dans ce texte et je me demande s’il est heureux ou non de ses perceptions et satisfait de ses connaissances sur l’origine et l’intérêt de ce qu’il sent à défaut de ressentir. Ulysse sur sa p(l)age d’écriture attend peut-être les consignes de l’horizon, et j’espère qu’il va pouvoir se lever comme un fantôme efficace pour aller dire quelque chose de nouveau à Pénélope, qui tisse à perte de patience à l’ombre de ses doutes & espoirs. La vie (même fictive) est si courte et les odeurs rassurantes si fugaces. Je vous offre un poème que j’ai failli mettre dans ma contribution, mais qui ne convenait pas, à cause de l’absence de mer…. Le voici :
Odeur d’iode
sur les prés
*
Même les insectes
savent :
marée haute
*
L’herbe
aimerait retenir
la trame de la mer
CLAUDE PUJADE-RENAUD, Instants incertitudes
on se réfugie après les odeurs pénibles de foule de bord de mer de kérosène et de décomposition dans les odeurs de café ou de thym ou de savon parfumé à l’ancienne, celui de la grand mère qui vient nous sortir de là à point nommé…
toujours Ulysse assis sur la plage, on se demande ce qu’il fait, ce qu’il attend, point inamovible qui te permet sans doute de développer un monde autour de lui…
Très beau texte qui donne envie de s’assoir un moment sur la plage avec toi- lui pour regarder au loin et respirer l’odeur
Tu décomposes une odeur comme tu décomposes un personnage et c’est drôlement bien fait dans les deux cas !