Je n’ai pas assez parlé de cette odeur, qu’elle laisse derrière elle, qui reste dans la pièce même une fois qu’elle l’a quittée. Je n’ai pas dit comme elle s’est agrippée à mes narines, y est entrée brusquement, s’y est engouffrée, comme elle a tapissé mes viscères, je la sentais glisser à l’intérieur de moi, comme la vapeur aux bains turcs, comme un liquide chaud descend le long de la gorge, et brûle, et étrangle sur son passage, je n’ai pas assez parlé de cette odeur, non, et de ce qu’elle a fait surgir en moi, comme peurs, comme angoisses, comme elle m’a rappelé que ma sœur était un corps, de la viande, un corps avec ce qu’il a de cruellement bas et vil, comme cette odeur m’a rappelé que ma sœur avait une intimité, comme je l’ai sentie, inhalée, jusqu’au haut-le-cœur, comme ce rappel était douloureux, contre-nature, j’ai senti ce que je n’avais pas à sentir, je n’ai pas assez parlé de son odeur, comme j’ai dû l’avaler, comme elle était palpable, comme elle me mettait face à la pourriture, à ce qu’on a de mortel en nous, je la sens encore, à l’arrière de ma langue, au fond de la gorge, comme un arrière-goût, quelque chose qui ne passe pas, malgré les jours, les mois, et qui contamine tout ce que j’ai mangé depuis, je ne peux plus rien manger qui ne me rappelle cette odeur, je ne sais plus si c’est les murs, les draps, les objets de la maison qui portent sa marque, ou si elle est incrustée en moi, pour toujours.
Encore une fois, très beau. surprenant encore.
Merci pour votre retour !
Cette odeur incestuelle ou tout au moins intrusive donne à votre texte une tonalité bien singulière et inquiétante. Votre discipline aux consignes est aussi surprenante. L’écriture est sans grumeaux et elle lève bien l’ambiance.
J’avais écrit « odeur incestuelle » avant de l’effacer finalement, car en réalité, dans mon texte global (celui dans lequel j’aimerais que ce passage figure), il n’est pas question d’inceste. J’ai été aussi surprise que cela s’immisce ici, ainsi. Merci pour votre lecture.
C’est toute l’ambiguité des textes qui mettent en scène des souvenirs pas tout à fait contextualisés et ciblés sur ce qu’on veut dire ou ne pas dire et parfois qu’on qualifie sans tenir compte de l’impact des images projetées par celle ou celui qui lit. « L’odeur d’une soeur » peut-être de toute nature et de toute provenance. J’ai pensé aussi à la maladie… ou à une promiscuité corporelle imposée par des conditions de vie. Le préciser peut aider à ne pas se fourvoyer dans la lecture. En tout cas, ce que vous écrivez me plaît. Merci à vous de nous l’offrir.
Effectivement, c’est bien une maladie, la dépression, que j’aimerais réussir à faire incarner. Merci !