Je n’ai pas encore parlé de cette odeur; pas su pas pu pas lu les signes sous les strates les couches superposées puis mêlées de la mémoire, ce qu’on appelle les limbes parce qu’on ne sait pas où se range ce foutoir de l’intime qui trône en foire ; ce sont les nains devenus géants les freaks les tentacules les octopus les figuiers de barbarie et la figure du barbare dans les livre d’histoire le loup au fond du couloir la main qui tient rassure éloigne la peur, les minuscules filets réticules dérisoires où s’accrochent les images charriées de ce qui fut pour de vrai de ce qui fut imaginé pensé osé dans ce monde disparu que je porte en moi à jamais défroquée de ce que j’ai perdu sans savoir que j’aurais à le perdre, Petit Poucet Petite Poussée trop loin très vite ; alors j’aurais dû parler de cette odeur de cette chimie car chimie j’aimais, elle m’aidait j’en avais besoin ; pénombre du laboratoire, lumière rouge inactinique, laboratoire et solitude dans la coque vide du grand bâtiment désert aux heures de l’après-midi, les premières heures celles qui coûtent à se remettre en route, sur cette route-là les images à enfanter une à une dans l’ombre dans le bourdonnement de la ventilation mécanique contrôlée, dans le grondement des trains en bas sous les quatre étages empilés sagement strates après couches en lignes droites définitives ; au deuxième étage le Laboratoire, en incubateur ; pulsations lourdes du sang au bout des doigts, battements sourds de mon murmure – je compte je décompte le temps de pose le temps qu’il reste le temps tout court et des fois c’est long je me perds dans le temps dans les temps qui se superposent : les instants figés dans les photos, les moments où j’ai déclenché où j’ai entendu le déclic de l’obturateur, les instants que j’ai manqués, sur le papier, à moi-même lorsque je me suis fait défaut et que je n’ai pas fait pas dit remis à plus tard, pensés sépia futiles, les espaces de la mémoire lissés sur le papier Ilford Multigrade, je me rêve multiple je deviens granion ; alors j’aurais vraiment dû, dès le début, évoquer cette odeur – centrale – pour bien comprendre ce choc ; le choc unique singulier mais indéfiniment répété de chaque image extraite du papier vierge dans le révélateur, le choc des photos c’est la formule, toute faite, mais bien faite, il n’y en a pour cela pas d’autres, et sans cette certitude impossible de dire l’hyposulfite de sodium et le bisulfite dilué un pour quatre ou un pour dix c’était selon ; impossible de rendre compte du fixateur qui fixait la photo l’immobilisait plate sur le papier blanc mat gondolé parfois d’avoir été révélé trop longtemps, impossible de raconter pourquoi dans la nasse branlante du souvenir le choc de cette photo-là qui ne pouvait être tirée qu’une fois dans la chaleur humide et sous la lumière rouge dans l’odeur chimique mais familière et aimée ; son portrait ; six mois après son décès ; ressuscitée une fois.