#été2023 #07 | nu de L.

    frottant, savonnant membres, saillances, creux, renflements, fentes, cavités      savonnant de nouveau la peau lisse satinée     la frottant rudement      impossible effacement     la sensation du shampoing liquide sa fraîcheur sur le cuir chevelu malaxé par les doigts       pétrissant l’épaisseur des cheveux dans la mousse      les yeux fermés sous le jet chaud de la douche qui emporte les rigoles savonneuses    sous la longue serviette enveloppée, quelques gouttes glissent jusqu’aux chevilles, mouillent le tapis de bain       s’essuyant     entrouvrant légèrement le tissu éponge      laissant refléter dans le miroir embué le ventre doux, la rondeur d’un sein     déjà trop      ne se regarde jamais entièrement nue     ne veut pas voir sa merveilleuse nudité      n’existe que morcelée     essorant ses longueurs de cheveux dans une autre serviette     la tête penchée en avant     les pieds un peu en dedans      séchant soigneusement les humidités résiduelles      vaporisant une fraîcheur d’agrumes au creux des aisselles     puis dans la pénombre de la chambre sans miroir laissant glisser la serviette sur une chaise    enfilant culotte et brassière     sur le lit les vêtements neufs     tunique blanche – pantalon noir – veste anthracite     un uniforme de bureau       sur la table de chevet des anneaux d’oreille et un comprimé blanc sécable    observant sa tenue devant le miroir de la salle de bain     démêlant les cheveux les attachant en queue de cheval       soulagée par son allure anonyme     et par la veste dissimulant les formes     elle dépose une ombre irisée au bord de ses paupières     insère les anneaux dans le trou de ses lobes     avale le comprimé entier     et se regarde dans les yeux     esquisse un sourire résolu      sera à la hauteur, honorera ceux qui lui font confiance      

Délaissant momentanément le Professeur Song et Mirna pour approcher plus près de L., mon personnage le plus insaisissable. 

A propos de Muriel Boussarie

Je travaille sur un chantier d’écriture au long cours et j’espère avoir assez de souffle pour le mener à terme. L’intuition de ce projet a surgi ici, dans un atelier du Tiers Livre. Il était question de se perdre dans la ville. Comme je ne voulais pas suivre une piste trop autobiographique, j’ai délocalisé l’errance en la situant dans la ville de K., un avatar de Hong Kong qui m’avait tant fascinée. Alors un personnage, un homme, Tu, toujours interpellé, est immédiatement apparu dans une rue de K. où il s’était égaré. Malgré cette entrée en matière – très forte pour moi – je n’ai pas pensé au départ écrire une histoire, encore moins un livre. Mais je voulais écrire, rêver un univers, celui de K. Quelques textes ont ainsi vu le jour sur mon blog. Puis lors d’un nouvel atelier de François Bon, un fil d’histoire plus précis s’est ébauché : le départ de Tu et L. vers les îles pour fuir la dictature qui sévit à K. À ce moment-là s’est déclenché un grand désir de narration. Beaucoup de choses se sont précisées au fil de l’écriture, bien des personnages sont apparus… Et régulièrement j’utilise des consignes de l’atelier comme pistes pour développer mon récit.

19 commentaires à propos de “#été2023 #07 | nu de L.”

  1. étirements parcellaires où le corps se dévoile, comme un haïku qui se prolongerait. Merci Muriel pour toute la sensualité de ce texte.

    • Merci Michael pour votre passage. J’ai la sensation que c’est un personnage qu’on ne peut découvrir que par fragments

  2. « n’existe que morcelée », ainsi je la vois, aveugle à elle même dans ce halètement du texte, devenant peu à peu quelqu’un d’autre dans l’habillage et le nouage des cheveux
    ce comprimé, énigmatique…
    rythme sensuel et lent, comme j’aime… les espaces entre fragments te vont bien !

    • Un grand merci Françoise pour ta lecture attentive. Tu as bien perçu L., morcelée, parvenant un peu à se réunir en devenant comme une autre une fois habillée… oui cet énigmatique comprimé blanc… et les blancs entre les fragments je les utilise souvent c’est vrai, ils apportent – je trouve – quelque chose de plus à la ponctuation.

  3. Insaisissable, mais très bien saisie ! Pour le lecteur, ces personnages troublants et énigmatiques sont un régal; pour l’auteur, un plaisir ?

    • Helena merci pour ton commentaire qui m’a donné à penser ! Si L. est en effet un personnage troublant et énigmatique, je ne pensais pas qu’on pouvait ressentir cela aussi de personnages comme Song ou Mirna. Est-ce la façon de les approcher, peu à peu, en prenant ce qu’ils me donnent à percevoir au fur et à mesure, qui les rend troublants et énigmatiques ? Alors tant mieux ! je suis ravie de l’effet produit sur le lecteur. Quant à moi, il y a en effet un immense plaisir à les écrire mais aussi de l’inquiétude par moment surtout pour Song et L. J’imagine que tu dois aussi ressentir ça pour Adrien ?

      • Oui, je crois que c’est la façon de les approcher, mais aussi la façon qu’ils ont de nous surprendre. On écrit ce qui veulent nous donner, ils écrivent à notre place. C’est du moins ce que je ressens, pas très souvent, malheureusement, mais quand cela arrive, c’est effectivement un très grand plaisir ! Pour l’inquiétude, j’en ressens aussi, en me disant « Est-ce vraiment cela qu’il/elle veut ? » 🙂

  4. J’aime beaucoup cet étrillage dans les règles, presque violent, de ce corps qui s’ignore et se voudrait anonyme. J’ai pensé (juste pour le thème toilette) au beau texte de MH Lafon sur la toilette du père… Merci

    • Merci Catherine pour ce retour, je retiens le mot étrillage (peut-être pour la suite) et l’envie d’aller faire un tour du côté de MH Lafon.

  5. une scène intime exposée dans une certaine routine, corps naturel – corps contraint, on suivrait bien L. dans une autre scène une fois dehors… Les participes présents fonctionnent bien et les espaces aussi.

  6. En effet, il y a cette idée de routine et de contrainte qui ressort à la relecture. On pourra suivre de nouveau L. dans la 7bis. Merci Nolwenn pour ton retour.

  7. J’utilise beaucoup les blancs (peut-être trop parfois), ils apportent une respiration que je ne trouve pas avec les points de suspension.
    Merci pour votre lecture Solange.

  8. arrivée ici depuis le noir qui tremble et la partie de dominos, lu et aimé. ce nu de L à sa toilette, la pudeur, la distance et l’intimité tout à la fois. la justesse.