Que faire des jours en trop ? Pas de réponse à cette question. Marie prépare les outils, la colle, le crin, les sangles, les cordes pour Pierre, son époux. Distraitement. Il rentre dans deux heures, et sera inexistant… la lumière chassée par une ombre.
Assise, elle repense au minuscule cinéma de quartier, aux classiques des studios Universals dont elle parle parfois. L’élégant Lugosi, l’impressionnant Karloff, Lon Chaney Jr.. L’épouvante, transmettre cet amour à son petit-fils, le benjamin d’Abel. « Un jour il aimera ça, un jour assis – lui aussi – il pensera à moi, et à Dracula, à Frankenstein, à La Momie« . Mission accomplie, il rédige d’étranges scénarios, de vers et de neige.
Jour du pois(s)on, et pourtant elle observe un steak de cheval fristouiller dans une épaisse couche de beurre, quel luxe. Fondue, cette viscosité dessine des paysages gras et irisés, des taches d’huile sur huile, le trait de l’aléatoire, pointillisme de quelques bulles. Elle boit une tasse de café tiède, le thermos en plastique orange (deux tons) à portée de main. Elle soupire en soupir, soupire en continu. Harmonie stable de l’ennui.
Visite de famille : minutieux inventaire de tout ce qui doit disparaître avant l’héritage. Toutes et tous sont seules et seuls, les yeux rivés sur une statuette, sur un tableau, sur un meuble art nouveau, sur des livres rares… Le regard caisse enregistreuse. Seule la cadette de Caïn, seule, perçoit l’odeur de mérule. Partageant que le sang, qu’elle purifie au sucre brun, pas l’esprit.
Assise sur une chaise dans la pièce à retraite. Pas de visite aujourd’hui, pas d’inventaire. Marie ne parle pas de la journée. Elle regrette de ne plus se rendre à la messe, de ne plus pouvoir marcher jusqu’à cette chapelle forestière peinte un jour par Rik Wouters. Douceur. Elle écoute les averses de grêles sur le toit en polyester ondulé, musique divine. Et lors des accalmies, elle constate que Pierre ronfle toujours.
Il mange un morceau de pain, sec, accompagné de sa blonde bière. Il doit absolument téléphoner à Abel, et lui rappeler après un « zeg, heb je ni vergiten vi volgende zondag? ». Important de lui rappeler sa propre routine, même s’il n’oublie jamais, il ne faut pas cesser d’exister. Il cherche dans le vide qui sépare l’œil de la télévision, dans cet espace immense.
Elle mange un morceau de pain, garni de beurre et de rêveries.
C’est une journée d’évasion, les mains dans la terre. Elle coupe quelques salades, arrache des haricots, extrait carottes et pommes de terres. Elle cueille des poignées de griottes acides. Pour seule compagnie, des battements d’ailes et des chants d’oiseaux, le vent rythmant la symphonie des herbes, des feuilles, des branches, des aiguilles.
Ce temps se range, soigneusement plié, dans le fond de la poche, personne pour lui voler.
c’est pas un texte au pain sec, oui ça vaut le coup
Merci François, c’est cool d’avoir ton retour l’ami. Je me sens beaucoup mieux depuis que j’ai pigé que je ne DEVAIS pas forcer les choses, que mon objectif initial me bouffait et bloquait l’écriture. Du coup j’explore – j’assume la naïveté – différentes approches et « l’existence » (voix / voies) de personnages sans liens apparents… ce qui n’est pas le cas. Ici j’ai retravaillé un texte ancien pour piger si je pouvais briser ce monolithe et l’étendre sans le dénaturer (désacraliser le texte… Vincent m’en parle souvent). Une exploration du matérialisme et de la foi du vide. Ce cycle d’été me prend bien aux tripes, mais sans pression inutile. Bonne journée!
Un texte touchant (par le personnage) et délicat (pour comment le narrateur en prend soin), et cette photo…
Merci beaucoup Catherine, toujours un immense plaisir d’avoir un retour de ta part. Cette photo, oui, je l’aime beaucoup. J’en ai fait une série. Elle illustre clairement ma passion pour la vie en macro… à travers l’objectif et l’écriture. Je t’embrasse fort!