Comment récupérer les graines d’œillets d’Inde en fin de saison ? L’œillet d’Inde (nom officiel : le tagète) est un des acteurs principaux de notre jardin floral et aussi potager, grâce à ses jolies couleurs ornementales et son odeur répulsive qui protège particulièrement la tomate. Nous n’avons pas de tomates. Cela prendrait trop de temps et nous serions rétrogradés au statut de paysan que nous avons quitté grâce à la propreté et la technique, grâce au lessivage et aux vitamines, grâce aux horaires fixes des repas et aux cours du soir, grâce à l’usine automobile, châssis, compresseurs, réservoirs, malaxeurs. Les machines nous ont élevés. Une fois que les fleurs ont séché, nous pouvons récupérer les graines d’œillet d’Inde pour les semer au printemps prochain. Pourquoi acheter et racheter tous les ans des godets en jardinerie ? La récupération est facile, et surtout très économique. La ligne orange en points de suspension des œillets le long des cailloux blancs revient tous les ans et se voit depuis la fenêtre du salon lorsqu’on l’ouvre. On n’ouvre pas souvent. L’air extérieur porte les relents de la fonderie. On a peur des moustiques. S’il faut ouvrir, on laisse le voilage flotter devant la vitre. Doubles rideaux de précaution, de protection : lorsque vos deux tissus sont coupés, superposez-les l’un sur l’autre. Préparez les ourlets du bas et les bords verticaux. Le tissu écossais à prix cassé est un retour client, ce qui donne un prix au mètre extrêmement intéressant. Ce n’est pas un choix esthétique, contrairement au 33 tours de Georges Jouvin, l’homme à la trompette d’or. Contrairement au chalet sous la neige du peintre Morandi. Elle dit Tu chercheras son nom, peut-être que ça vaut cher, que ça vaut très cher (je ne trouve rien). Épinglez le rideau et la doublure ensemble et cousez. Vous pourrez rabattre l’ourlet de tête du rideau sur la doublure et poser une ruflette en cousant les deux épaisseurs pour terminer. Vos rideaux sont prêts à poser, et le métrage permet d’habiller toutes les fenêtres du logement de fonction de l’usine, situé dans la cour de l’usine. Nous économisons toute l’année pour être riches l’été. L’été, nous achetons nos sacs sur les marchés. Nous achetons nos chaussures sur les marchés. Nous achetons nos montres à Nando, le seul sur la plage à porter un gilet d’explorateur de coton couleur sable, sans manches, et recouvert de dizaines de poches. Il écarte les pans de son gilet pour dévoiler des montres pendues à de petits crochets. Quand les carabiniers s’approchent il file. Il promet de revenir avec des chaînes, des pendentifs en or au profil de Néfertiti ou en forme de corne, joli pendentif en or représentant une corne d’abondance également appelée Piment italien. Ce symbole est né de la mythologie grecque. On dit que Zeus, enfant, arracha la corne d’une chèvre qui était sa nourrice. Il l’utilisera plus tard pour faire apparaître fleurs et fruits en abondance. À cause de cette profusion de richesses, la corne devient un symbole de chance et de prospérité en Italie. Avant de partir en vitesse Nando salue rapidement Vinicio qui crie Coco ! Coco ! à intervalles réguliers, pose sa glacière, sort des parts de pastèque, rend la monnaie, referme sa glacière et repart. Nous ne mangeons pas de fruits, mais des pommes de terre à chaque repas. R coupe les pommes de terre pour faire des frites. Il a suivi les cours du soir, les cours des arts et métiers, aussi il regrette qu’il n’existe pas un outil qu’on appellerait une équerre de cuisine pour s’assurer que les angles des morceaux de pommes de terre soient coupés correctement, à 45 degrés. Les morceaux de pommes de terre sont tous de la même épaisseur, car R s’applique, méthodiquement, minutieusement, pendant que nous faisons silence. On n’entend que la radio. Sur le guéridon est posé le carnet où noter la valise RTL. Dix mille huit cent soixante-deux francs, plus cent onze, dix mille neuf cent soixante-treize. Bonjour monsieur. Est-ce que vous pouvez me donner le montant de la valise ? J’en sais rien moi. Ah, c’est dommage monsieur, si vous aviez écouté la radio, vous auriez pu me donner le montant et vous auriez gagné dix mille neuf cent soixante-treize francs. Combien vaut un lapin fermier ? Celui-ci, à l’arrière de la voiture, qui fait sa prière dans un linge, ne nous a rien coûté, à part une visite au cimetière et la vue sur la sucrerie. Ils n’embauchent plus comme avant, c’est terminé. Dompierre-Becquincourt est un village rural picard du Santerre situé sur un plateau surplombant la vallée de la Somme, aisément accessible par l’ex-RN 29 (actuelle RD 1029). Point de départ du chômage de masse en France, la crise des années 1970-1980 marquée par deux chocs pétroliers a donné naissance au phénomène de stagflation caractérisé par une forte hausse des prix, de plus de 10% certaines années, et une croissance faible. Nous croissons faiblement. Encore un peu de paille sous les chaussures que nous enlevons bien vite. À peine rentrés, nous profitons des toilettes qui ne sont plus un bidon de métal avec couvercle. Les cours du soir et les arts et métiers, la fonderie et l’atelier de construction mécanique doté de machines-outils, ainsi que le service achats approvisionnements, ont pour tâche d’alimenter en toilettes hygiéniques ainsi que réfrigérateurs les quelque deux cents ouvriers. Ces derniers participent, entre autres grands chantiers, à ceux du canal du Nord et de l’usine de retraitement des combustibles de La Hague. Nous participons au monde, à sa propreté comme à sa saleté. Mais notre volonté de bien faire, comme couper correctement les morceaux de pommes de terre à 45 degrés, est si grande, que nous serons pardonnés. Nous n’avons rien fait de mal. Les vitres sont nettoyées une fois par mois, à la satisfaction des voisins. Nous n’y sommes pour rien si le plus ancien centre français de stockage de déchets radioactifs, situé sur la commune de La Hague, en bordure de l’usine de retraitement, est arrivé à saturation en 1994. C’est un problème, mais nous avons tous des problèmes. Comme manger. Pisser dans des toilettes à cuvette étincelante et chasse d’eau. S’acheter un jeu d’échec, par conséquent en faux marbre, du stuc, un enduit composé de plâtre, d’eau et de colle. Le stuc imite même les fêlures antiques des théâtres romains, comme si vous y étiez. On reconnaît les vacances à ce qu’il y a toujours une image de Madone dans le tiroir de la table de chevet. Nous ne prions pas la Madone devant témoins, mais on pense à elle. Nous n’avons jamais manqué de rien dit ma mère, avec raison. Sur la route du retour, à une halte, on achète un pot de faïence qui imite un torchon fleuri, noué sur le dessus, une sorte de petit baluchon dur et fragile. Comme il vient de Vallauris et qu’il est signé, ma mère pense que c’est un Picasso. Nous lui accordons beaucoup de valeur, esthétique et intrinsèque, et que Picasso soit un monstre, nocif, tyrannique, rancunier et brutal, n’est pas de notre compétence. Dans le placard de l’Ehpad, il y a la caméra de mon père qui filma, une montre de contrebande à son poignet, la plage où marchait Nando. Ça vaut cher, dit ma mère. Quand il faudra, plus tard (sous-entendu quand la Madone l’aura décidé), tu achèteras un catalogue de collectionneurs pour savoir le prix, ça vaut cher. Puis, sans transition, Tu savais qu’Angelo est mort ?
puissance du récit qui nous entraîne dans le dédale des pensées, d’un sujet à l’autre, sans répit, ça nous emmène de la récupération des oeillets d’Inde (que j’aime beaucoup, j’en ai dans mon carré de salades) à la pose de la ruflette sur les rideaux aux déchets de l’usine de La Hague
j’en suis époustouflée à la fin, même si je n’ai pas lu tous les épisodes précédents (du coup je me demande qui exactement est le « nous »…)
merci à vous, C. Jeanney…
Quel collage incroyable …. Magnifique ! Les choses vues se renouvellent et s’enchaînent et pourtant vous leur gardé une vraie unité, on n’est en rien perdue,
Belle suite,
Vertigineux! Merci Christine
tagète ruflette j’adore (août 77 Royalieu (camp militaire (escale destination Auschwitz quand même remarque), transmetteur 2ème classe, aux cuisines (corvée) une machine pèle les pommes de terre et dans une autre on les pose, on pousse sur la poignée, assez fort : la tubercule s’écrase contre le croisillon et tombe en frites (90 degrés, désolé mais l’armée est obtuse) dans la bassine emplie d’eau (floc))