Ce fainéant ? Il va falloir qu’il arrête de rêver pour commencer à bosser, c’est pas comme ça qu’il va entretenir ma fille. Squatter la maison et vider le réfrigérateur, ça va bien quand on a quinze ans. Mais là, il commence à avoir l’âge de bosser, de passer des concours etc. Au lieu de ça, il traîne avec ma fille, sans projet concret. Qu’est-ce qu’il veut? Moi, cette jeunesse, ça me dépasse.
Roger, je l’ai rencontré à la fac. Il est en lettres et je suis en éco.Il est différent, il ne s’occupe pas bien de ce que pensent les autres. Il vit selon lui. Et ça, ça m’a impressionné. Maintenant que je le connais, je sais qu’il pense aux autres, qu’il a une forte propension à s’angoisser. Il n’a rien à voir avec les personnes de son âge. Rien à foutre du foot ou des divertissements populaires. Il se balade toujours un livre à la main, malgré les remarques des autres. Roger, c’est un poète et j’ai peur qu’il ne disparaisse. Ça pourrait arriver un jour, tout est imprévisible autour de lui. La vie serait bien moins drôle sans sa présence dans ma vie.
C’est un garçon blafard et tranquille. A peine, on l’entend. La famille, quasi inexistante : parents éloignés, il vit à Santiago chez une vielle tante dans le quartier de Lastarias. Il travaille dans une sandwicherie pour payer ses études. Ça n’avance pas trop ses études. C’est pas son truc, mais il n’a pas trouvé ce qu’est son truc. Il pense souvent à retourner chez lui, dans la province de Temuco. Mais pour faire quoi ? Au moins ici, il s’occupe de sa tante. Elle est malade, la vieille femme. C’est lui qui reçoit toutes ces angoisses. Il faut bien les mettre quelque part.
« Roger, c’est un poète et j’ai peur qu’il ne disparaisse. » Touchant portrait de ce garçon qui « vit selon lui » (j’aime bien cette expression). Merci Irène.