On lui reproche de trop parler, ça il le sait. Cette femme souhaite en apprendre plus sur ce lieu et justement toi qui y as travaillé tu pourras certainement répondre à ses interrogations. C’est par cette présentation succincte que son ami journaliste lui a demandé s’il pouvait la recevoir, ce qu’il a accepté avec plaisir, un peu de sang neuf dans ses rencontres lui ferait le plus grand bien. Quand elle est entrée dans l’appartement, il a entendu des pas lents qui piétinaient quelque peu puis ont poursuivi, hésitants, se sont arrêtés au devant de la pièce de séjour, elle a immédiatement tourné la tête côté salon où il l’attendait, carré dans sa bergère à oreilles. Si elle a été surprise, elle n’en a rien laissé paraître, pas la moindre réaction, à peine peut-être un infime cillement, puis elle a souri, semblant détendue et a pris place dans le Chesterfield qu’il lui ai désigné. Tandis que il lui parlait, elle regardait son téléphone, puis le regardait, comme démangée par l’envie de s’en saisir ou alors elle regardait vers le hall d’entrée, peut-être voulait-elle fuir, mais encore une fois, son visage restait imperturbable, aucune émotion particulière ne l’animait, juste ce sourire à peine perceptible des êtres insaisissables.
Dans le train qui le ramène chez lui, l’homme qui était dans la chambre au dessus de la sienne repense à cette rencontre. Cela l’amuse que quelqu’un d’autre que lui et T s’intéresse à ce square et ses alentours. Si elle n’avait pas perdu sa brochure, il n’en aurait jamais rien su. Elle lui a parlé d’un fil rouge qu’elle aimerait trouver concernant son lien avec ce quartier. Elle mène une sorte d’enquête qu’elle voudrait voir déboucher sur l’écriture d’un livre. Elle cherche des gens qui pourraient l’aider à trouver ce fil, peut-être qu’il y a un nœud caché quelque part, lui a-t-elle dit. Pour elle, cette brochure tombée de son sac et ramassée par lui ne peut être un hasard. C’est quelque chose qui est en lien avec ses recherches, ça fait partie du chemin qu’elle explore durant de son séjour à l’hôtel. Elle est perspicace et déterminée, cela ne fait aucun doute, et il se demande si elle sera encore là la semaine prochaine quand il reviendra pour couvrir le sommet européen.
Ce matin, dans la salle du petit déjeuner, la femme qui était dans la chambre à sa droite, porte d’entrée à gauche de la sienne, la voit prendre place à une table près de la baie vitrée, elle pose son appareil photo à côté d’elle ainsi qu’une assiette d’œufs brouillés. Ni l’une ni l’autre ne savent qu’elles ont dormi dans des chambres contiguës. Elle la regarde et envie cette femme qui a l’air libre et détendue, elle se demande si c’est une touriste, mais elle n’est pas habillée comme telle, c’est peut-être une journalise. En tout cas elle se dit que quelqu’un qui de grand matin utilise un appareil photo plutôt qu’un ordinateur portable a indubitablement une vie plus passionnante que la sienne.
Tandis qu’elle déguste lentement ses œufs brouillés, elle ne se rend pas compte qu’une deuxième personne l’observe. C’est la jeune femme qui a passé la nuit avec l’homme au costume de drap fin. Ils sont ensemble à table mais se parlent à peine. Comme pour tromper l’ennui, la jeune femme à la longue chevelure rousse la regarde, et se dit qu’elle a déjà vu cette femme quelque part mais elle ne saurait dire où ni quand. Toujours un peu angoissant cette impression. Elle la regarde boire son café tout en faisant défiler les photos sur l’écran de son reflex. Se sentant observée, elle finit par lever la tête et leurs yeux se croisent. La jeune fille détourne aussitôt la tête, transpercée par un regard qu’elle n’est pas près d’oublier. Difficile cependant de déterminer ce que ce regard peut signifier. Elle chasse ces pensées en se replongeant dans se propre assiette, inutile de chercher des mystères là où il n’y en a probablement pas.
Ces regards des uns sur les autres donnent consistance aux personnages et bien au delà ouvrent des perspectives qui révèlent tout l’intérêt de ces arrêts sur images.
Merci Catherine.
Merci Marie pour ton commentaire. En effet, ça ouvre des perspectives auxquelles on aurait pas pensé soi-même en tant qu’auteur…