Séraphine est une fille serviable. Elle vient jusqu’ici, même la nuit, et elle donne ce qu’elle peut, du pain, du lait, des pommes de terre. Elle ne fait pas la dégoûtée comme les autres et à l’école elle s’assied à côté de moi. Elle m’aide un peu, pour lire. Elle m’apprend des prières. Séraphine habite la ferme en dessus, des gens riches mais pas trop, des gens généreux, surtout elle, parce que les autres de la ferme en dessus (le Grabou, ça s’appelle), ils ne viennent pas jusqu’ici, on ne les voit jamais, mais ils laissent faire Séraphine, ils lui donnent le droit de venir avec du beurre, des pommes, un fond de ragoût.
Séraphine apprend vite. Elle pose des questions. Elle veut connaître de nouveaux mots. Hier, c’était le mot troglodyte qui la travaillait, je ne sais pas trop pourquoi. Je lui ai expliqué. Je crois que c’est à cause de ceux à Jolliet, dans la grotte. Séraphine est forte en grammaire et en calcul. Elle pourrait faire des études. Mais chez eux, pas question, bien sûr.
Séraphine, j’ai un peu le béguin pour elle. C’est une grande fille, de l’âge de Florida. Quand elle vient, elle me dit bonjour Gaspard et ça me trouble, parce que personne d’autre ne me dit bonjour Gaspard. Et elle sourit avec des dents toutes blanches. Moi, je n’ose pas lui sourire aussi, parce que mes dents sont gâtées, alors je me cache sous la couverture et je pense à quand plus tard j’aurai un travail et de l’argent, que je serai allé chez le dentiste et que je pourrai lui sourire, à Séraphine, qu’on sera mariés.
Séraphine était mon arrière-grand-mère. Elle a vécu là, en dessous. Elle avait un fort caractère, comme tout le monde chez ceux du Grabou, et elle avait ses préférés. Mon père, c’était le chouchou. Surtout, dans sa vie, Séraphine a travaillé. Elle a travaillé et elle a prié, comme toutes les femmes de ce temps-là.
Plaisir à découvrir votre texte et le personnage de Séraphine vu au travers de regards croisés.
Merci
Séraphine devient un personnage qu’on a envie de rencontrer dans le Roman pour tout ce qu’elle a traversé et surmonté jusqu’à la voix écrite du narrateur qui la raconte depuis la grotte…
Encore une « femme de ces temps-là », je la reconnais bien, elle est mienne aussi dans mes explorations actuelles…
et on te reconnait si bien toi aussi dans cette écriture sobre et magnifique…