Elle aime sa voix autoritaire et pénétrante. Elle s’y retient lorsqu’elle chancelle. Une inflexion sans appel, n’invitant ni doutes, ni turbulences. Il est le père de ses quatre enfants et le patron du café qui porte son nom, ouvert en 1933. Sa voix est chaude même à l’heure la plus matinale. Toujours un regard amical à l’épicier, la boulangère, le pharmacien de la rue. Derrière le comptoir il écoute le tintement des petites cuillère, les paroles aux timbres endormis qui, peu à peu, s’échauffent à la lecture des nouvelles. Il remplit les verres avant qu’ils ne se vident, ponctue d’un mot rieur les phrases des clients. Lorsque vient le vendredi soir, Marcel devient bavard. Il installe tables et chaises au jardin dans l’attente des clients du week-end. Il claironne des conseils de mise en place, supervise depuis le perron. A ses côtés, sa vie est une valse.
Il habite la margelle du pont de pierre. Il y observe les fruits mûrs du verger, le chant des grenouilles et le passage du vent. Le ruisseau lui offre sa fraîcheur et la danse des lentilles d’eau traversée par les canards. Il discerne les traces des années disséminées sous les ronces et le tas de fumier. Parfois il sourit. Souvent il rejoint l’orée du bois tout proche où il écrit dans un cahier bleu petit format. Il l’a choisi par hasard, pour occuper son oisiveté, un jour où il flânait en ville. Les petits carreaux lui rappellent ses années d’écolier.
Ils ne monteront pas le voir dans sa chambre. Il n’est qu’un nom, une ordonnance. Ils l’entendront tousser de la cuisine. Ils parleront avec sa femme, accepteront un café parfois, noteront son état de santé, une date, un remboursement, prendront une prochaine date de rendez-vous, souhaiteront un bon rétablissement à celle qui n’est pas malade puis repartiront.
Chapeau de feutrine, veste trois quart grise et regard fixé sur l’objectif, il pose au côté de sa femme. Une imposante bâtisse de pierre grise datant de 1620 lui fait face et dans son dos, un champ prolongé d’un bois de chênes. De ses ancêtres journaliers, il a le geste et l’instinct du moment propice pour les plantations et la cueillette. Il vient d’hériter de son père de cette vaste demeure, maison, jardin et commerce. Elle les nourrira le temps de la guerre. Il n’a pas de doute.
Beau portrait contrasté de cet homme chaleureux, un peu (beaucoup ?) macho qui écrit à ses heures perdues.
c’est drôle que mon Marcel donne le sentiment d’être macho 🙂
C’est un homme du siècle dernier ça c’est certain.
Merci pour ce retour.
Je vais le redessiner un peu moins macho. Je ne le veux pas ainsi. Pas trop en tout cas.
En tout cas il a quelque chose d’attachant et de multiples facettes. On a envie d’en savoir plus sur lui
Je le trouve extrêmement attachant ce Marcel qui règne sur son petit monde comme un chef d’orchestre sur ses musicens. Il est plus ouvert et sociable que macho dans ce que je lis. C’est un contemplatif qui pourrait se révéler tel dans son écriture par la suite… « Il habite la margelle du pont de pierre. Il y observe les fruits mûrs du verger, le chant des grenouilles et le passage du vent. « . J’aimerais bien lire ce qu’il écrit dans son « cahier bleu petit format ». Et puis ce sont qui ces « ils » qui font irruption dans la chambre ?