N.B. : J’ai conscience que ce texte heurtera des gens, ou qu’il les choquera. Je m’en excuse d’avance. Ce n’est pas le but. J’avais besoin de l’écrire. Et de le publier. Si vous le désapprouvez, considérez-le comme le produit d’un esprit malade.
Il a toujours été craintif, se souvient-elle. Elle ajoute — comme son chat. Elle est comme lui, Clémentine. Quand on sonne à la porte, elle va à l’étage, elle regarde en bas, avec inquiétude, refuse qu’on l’approche. Petit, il avait peur de répondre au téléphone. Ca lui est passé, depuis. Il a fallu du temps. Prendre la parole en cours aussi. Il levait le doigt timidement en classe. Ca passait inaperçu. C’est ça, peut-être, qui a détruit sa confiance en soi.
Il avait du mal avec les amis. Il ne savait pas trop s’y prendre. Surtout, on ne savait pas s’y prendre avec lui. Pas comme sa petite sœur. Elle, ses amis, c’était comme s’il en pleuvait. Elle faisait toujours partie d’une bande. Quand elle revenait de l’école, elle faisait des récits de ses journées, et c’était toujours plein de noms. C’était elle qui le protégeait dans la cour de récréation. Il y avait bien deux gamins avec qui il trainait. Des gamins craintifs, eux aussi. Mais ça s’arrêtait aux murs de l’école. Aurait-il voulu qu’il se passe quelque chose dehors ? Jamais il n’en a exprimé le désir. Il laissait les choses se faire. Il n’était jamais invité nulle part. Un seul anniversaire, croit-elle se souvenir, puis plus rien. Son anniversaire à lui, c’était en août. Mais même si ça avait été plus tôt ou plus tard, durant l’année scolaire, pense-t-elle, il aurait hésité à aller vers eux, à leur donner leur carton d’invitation, à exiger d’eux un cadeau. Il n’exigeait jamais rien de personne. Ca a fini par le rendre envieux, aigri. Frustré, ajoute-t-elle. Certaines années, on lui avait organisé un truc. On avait invité des voisins, des amis, des collègues. Ceux qui avaient des enfants venaient avec. Une invitée, une sexagénaire vieux jeu, avait exigé qu’on ouvre les cadeaux après avoir mangé. Elle s’était amusée à couper chacun des haricots verts de son assiette en quatre, à les mâcher lentement, lançant un regard amusé autour d’elle. Puis l’assiette se vidant, les quarts avaient été découpés en quatre, en huit, en seize, en trente-deux, et de ralentir son rythme, avec toujours cet air amusé. Enseigner la patience à la jeunesse, c’était son credo.
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Au collège, il avait rencontré des difficultés. C’était un enfant curieux, mais paresseux. Médiocre, se souviennent certains professeurs. En musique et en arts plastiques, ses notes étaient bonnes. Même parmi les meilleures de sa classe. En revanche, tout ce qui était français, mathématiques, histoire-géographie, langues vivantes, sciences de la vie et de la terre, c’était catastrophique. Le sport, n’en parlons pas. Des capacités physiques limitées. Aucune compréhension des règles de jeu. Quand on pratiquait des sports collectifs, personne n’en voulait dans son équipe, il était systématiquement choisi en dernier. Globalement, avec le collège, il avait du mal. Il avait abandonné. Ne se sentait pas à la hauteur. Comme condamné à trainer des échecs éternellement. Il en était persuadé, ce n’était pas pour lui. Elle se rappelle qu’il faisait mine. D’aimer ça. De s’en soucier. Pour répondre aux attentes. Les gens raisonnables aiment l’école. Il avait choisi de suivre des cours de latin en option. C’était pour faire plaisir. Mais ses résultat avaient étés catastrophiques. « Votre fils va me rendre folle ! » avait dit l’enseignante à son père. Puis il avait redoublé sa quatrième. On l’avait mal supporté, à la maison, cachant cela au reste de la famille, par honte. Honte devant les oncles, les tantes, crainte de leurs jugements, des jugements des cousins et des cousines, qui ont de bons résultats, eux, qui font la fierté de la famille, eux. « Les parents, avait dit son père, c’est comme des banquiers. Ils te prêtent, mais après un moment, tu dois les rembourser. Toi, tu n’as pas réglé ta dette. Tu ne mérites rien. » Cette année-là, il avait passé des vacances d’été pleines d’amertume et de regrets.
Il subissait les moqueries de ses camarades de classe. Leur mépris. Leurs insultes. Il avait ses marottes, se souviennent-ils. La musique classique. Dans la cour de récréation, il faisait des vocalises. Ca avait agacé pas mal de monde. Il était bizarre. Il était fasciné par les pellicules dans ses cheveux. Il avait découvert qu’en se frottant le crane, il en tombait une sorte de poudre blanche ou grise. Alors il se le frottait, et ça s’accumulait, ça s’accumulait. Il était toujours seul. On ne lui avait pas connu d’amis. On ne voulait pas être ami avec lui. Parfois, se souvenaient deux filles, elles s’amusaient à lui toucher le cul. Chacune d’un côté, elles le coinçaient, et lui ne savaient pas où se mettre. Son embarras les amusait. Elles ont continué un moment avant de se lasser de ce jeu. Autre souvenir, un jour, il avait bandé, c’était en cours de mathématiques : « C’est la prof qui t’excite ? » avait lancé un mec, faisant rire toute la classe, et ça l’avait poursuivi pendant un moment. L’élève qui bande sur la prof de maths, c’était lui. Puis on s’était perdu de vue.
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Il était sorti de nulle part. Elle l’avait vu apparaitre. Sa mémoire a gardé ce moment intact. C’était au lycée, dans le couloir du premier étage. Elle regardait la neige tomber par la fenêtre. Il avait sorti un truc sur la neige, comme quoi elle était éphémère, comme notre vie. Ca l’avait fait rire.
Un mot est revenu pour le qualifier : grandiloquent. Tous ceux qui se sont exprimé sur lui et qui l’ont connu à cette époque le disent : il était grandiloquent, un personnage de théâtre. Elle avait cru, à cette époque, qu’il s’assumait. On l’avait cru. Elle avait compris, avec le temps, que c’était un masque, qu’il se cachait derrière quelque chose, n’osait pas trop se montrer. Ca lui permettait, peut-être, de mieux aller vers les autres, de se sentir plus libre de s’exprimer, de le faire avec plus de facilité. Il arrivait, une ou deux fois par an, qu’il montre un visage plus sombre, angoissé. Une phase, croyait-on. On ne lui avait connu aucune histoire d’amour. Aimait-il les filles ? Elle cherche. Jamais il n’avait dragué qui que ce soit. Jamais il n’avait été en couple. Pourtant, des filles, il y en avait plein, autour de lui. Elles étaient plus de vingt, dans sa classe, pour trois garçons seulement. C’était normal, dans les filières littéraires.
Globalement, il était apprécié des autres. On le trouvait drôle. C’est quand il s’est intéressé à la politique qu’il a commencé à changer. A devenir définitivement sombre. Elle estime que c’est ce qui a tout gâché. Elle hésite, se demande si ses idées noires ne sont pas intervenues avant, avant sa gauchisation. Elle cherche. Elle se souvient de ses angoisses. Il avait soudainement pris conscience du passage du temps, de l’immensité de l’univers, de la vanité de toute chose. Il avait toujours été au courant de ça. Mais d’un coup, ce n’était plus simplement théorique, ça avait du sens, et des implications. C’est devenu presque une obsession. Peut-être bien qu’il s’est jeté dans la politique pour donner un sens à sa vie. Avant, il était inculte, là-dedans. Beaucoup de bon sentiments. Le racisme, c’est mal, le féminisme, c’est bien, l’intolérance, ça fait mal. Par contre, il ne comprenait rien à la différence entre droite et gauche. L’économie, le capitalisme, le libéralisme, ça le dépassait. Il a fallu lui expliquer. A son regard vide, elle vit qu’il n’avait rien pigé. Puis du jour au lendemain, il s’est mis à parler de contrat social, de vivre-ensemble, de redistribution, à rêver de lendemains qui chantent, et une fois qu’il eut le droit de vote, il vota socialiste. Aujourd’hui, elle ne sait plus ce qu’il est devenu, ils se sont perdus de vue.
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Il y a elle, une autre, rencontrée sur les réseaux sociaux. Elle avait dix-sept ans. Lui était majeur depuis un moment. Vingt-trois ou vingt-quatre ans. Peut-être un peu moins. Elle ne sait plus. Elle était tombée follement amoureuse de lui. Mais elle avait eu peur de le lui avouer. Il y avait la différence d’âge. Les difficultés, pour une femme, c’est leur éducation qui le voulait, de faire le premier pas. Et elle comprit bien vite qu’il aimait les garçons.
Elle aimait son humour. Elle aimait son esprit. Sa culture, sa curiosité. Ca l’inspirait. Elle l’avait admiré. Il s’exprimait bien, du moins, c’est ce qu’elle avait cru voir, à l’écrit. Il avait une expression variée, dit-elle. Il savait des mots qu’elle ne savait pas, dit-elle. Ils suivaient tous les deux la même émission de télévision. Il s’était laissé prendre alors qu’il étudiait le droit. Il détestait ça. Il avait été contraint par sa mère. La première année s’était bien passée, il avait même imaginé que c’était fait pour lui, qu’il ferait un bon juriste en droit public. Puis vint la deuxième année, les cours de droit commercial, de finances publiques, alors il décrocha. Pendant un moment, il fit croire à sa mère qu’il allait en cours. Il passait ses journées au cinéma, à mâter tout et n’importe quoi. Une comédie française médiocre vaut mieux qu’un cours de finances publiques avec un professeur incompétent qui se contente de lire ses notes de la voix la plus monotone possible sans souci d’intéresser l’amphithéâtre somnolent. Il aurait pu faire des études de cinéma. Aller à Lille, dans son université. C’est vers ça qu’elle s’était dirigé, après l’obtention de son bac. Le cinéma, c’était sa passion. Elle voulait être monteuse. Elle tenta de l’y encourager. Il dit que ça ne se ferait pas. Sa mère s’y était opposée. Après avoir abandonné le droit, il fit des études de lettres modernes.
Progressivement, elle a vu son état se détériorer. Il devint craintif. Plein de ressentiment. De plus en plus misanthrope. La haine le gagna. Il était nihiliste. Elle ne le reconnaissait plus.
Ses textes, des nouvelles et les poèmes, qu’il partageait ici et là, elle se souvient qu’elle avait du mal à les lire. Elle ne voyait plus où il voulait en venir. Des textes lourds, sans saveur, sans style. On ne savait pas comment le lui dire. Ses personnages, au nom loufoque, n’avaient plus d’autre fonction que d’exister. Parfois, il s’en servait pour régler ses comptes. Ou pour des private jokes. Il y eut les premières tensions entre eux. Une fois, elle le poussa à parler de son orientation à sa mère. Indirectement, dans un de ses textes, il lui lança une pique. Elle le prit mal. Elle se défendit, en expliquant que pour elle, une mère ne peut que vouloir le bien de son enfant, qu’on ne perd rien à essayer. Le temps passa, ils prirent un chemin différent. Ses publications, sur les réseaux sociaux, se droitisaient, ce qu’elle acceptait de plus en plus mal. Elle se taisait, pourtant. Un jour, se plaignant de son copain d’alors, elle lança : « De toutes façons, vous les hommes, vous… » Ce jour, il disparut définitivement de sa vie.
***
Il se souvient avoir eu du mal à le prendre au sérieux, au début. Il fallait le connaître pour mieux le comprendre. Un homme corpulent, à la démarche bizarre, le nez imposant, la chevelure encombrante. Il réfléchit. C’est surtout le regard qui troublait. Comme teinté d’inquiétude. Ou d’amusement. Il réfléchit. Le premier jour, on l’avait vu entrer dans la salle de classe, affichant un large sourire figé, guignolesque. Ainsi ont commencé les deux années en Master de lettres.
Une année et quatre mois pour lui. Il s’est senti obligé de partir, se souvient-il. Il est devenu nerveux, comme une bête qu’on traque. Il supportait de moins en moins le corps enseignant. Peut-être avait-il porté en lui un mal-être qui, en raison de certaines circonstances, avait fini par exploser. On avait tenté de le convaincre de rester, lui expliquant qu’il n’y avait plus que six mois, que ce n’était rien. Probablement que c’était devenu insupportable pour lui. Il réfléchit. Il était en colère contre une enseignante. Une spécialiste du XVIème siècle, féministe. Elle avait expliqué que les sorcières étaient des femmes émancipées. Qu’elles avaient été chassées pour cette raison. Il prétendait que ça ne s’appuyait sur rien. Que les sources n’allaient pas dans ce sens. Que les spécialistes disaient autrement. Que la réalité était plus nuancée. Pour lui, tout ça était indigne de l’université, ce n’était pas sérieux. Etait également indigne de l’université cette autre enseignante. Elle avait posé des problèmes à tous ceux dont elle avait dirigé le mémoire ou la thèse. Pour avoir un entretien avec elle, il fallait batailler, elle donnait peu de directives, et quand elle acceptait enfin de vous recevoir, ça se passait souvent mal. Elle allait au Japon, ramenait du monde avec elle, comptait sur la docilité de ces étudiants étrangers, obéissants et perdus, pour ne pas avoir trop de plaintes. Outre cela, elle avait refusé de diriger le travail d’une étudiante voilée. Ca a avait été clairement dit. C’est le voile qui dérangeait. Progressivement, il est devenu impitoyable, critiquant le moindre enseignant, y compris ceux qu’il avait apprécié par le passé.
Il réfléchit. Il y a la passion qu’il s’était découvert pour la musicologie. Il réfléchit. La musique avait à nouveau pris une importante place dans sa vie, et ça lui faisait du bien. Il réfléchit. Il trouvait l’étude de la musique plus riche que celle de la littérature, disait que c’était plus vivant. Il réfléchit. Il y avait ce cours d’ethnomusicologie, dans le cadre d’enseignements transversaux. L’enseignant, c’était un Québécois. Un compositeur de musique électro-acoustique. Ca l’a convaincu, en option, de suivre son cours d’organologie, puis de musique électro-acoustique. Il était plus enthousiaste là que dans les cours de lettres. A ce moment, il se sentait revivre. Alors on ne le reconnaissait plus. Il réfléchit encore. Peut-être était-il amoureux de l’enseignant. C’est un des seuls qui trouvait grâce à ses yeux. Il ne lui trouvait que des qualités. Ses cours le rassuraient. Surtout, il s’est rendu compte, à ce moment, qu’il avait pris la mauvaise voie. Il réfléchit encore. C’est peut-être l’ethnomusicologie, surtout les valeur prônées par cet enseignant, qui l’ont empêché de totalement basculer. L’intérêt qu’il avait pour des cultures, considérées parfois comme mineures, sans importance. Le respect qu’il leur portait. Sa curiosité. Son refus de voir les hiérarchies comme quelque chose d’absolu. Ca l’a protégé, probablement.
Il est arrivé qu’il ait des prises de position dérangeantes. Contraires à ce qu’il montrait habituellement. Aux valeurs auxquelles il était pourtant attaché. On le sentait embarrassé, plein de contradictions. Il se mentait. Ce n’était pas vraiment lui. Est-ce son orgueil qui parlait ? Avait-il peur de quelque chose ? En fait, il est probable qu’il refusait surtout de voir que lui-même subissait des discriminations. Qu’il en avait été victime. Qu’il était comme tous ceux qu’il se forçait à mépriser. Il s’était rapproché de groupes conservateurs qui lui avaient donné l’illusion d’être pleinement accepté par eux. Il se croyait libre en leur sein. Il s’autocensurait.
Ce qui a tout précipité, surtout, c’est le changement de directrice de mémoire. Il réfléchit. Dans ce Master, le mémoire se déroulait sur deux ans. La précédente directrice, avec qui ça s’était bien passé, avait dû prendre sa retraite. Pour des raisons de santé, apparemment. Au début, celle qui la remplaçait avait rechigné à s’occuper de son travail. C’est à contrecœur que, deux ou trois mois après, elle y consentit. On avait trouvé ça bizarre. Un jour, il était arrivé en retard de trois ou quatre minutes. Les habituels problèmes de transports en commun. Elle avait refusé de lui donner la parole. Pendant les trois heures de cours, elle l’avait soigneusement ignoré. Lui levait le doigt, et elle, elle l’ignorait. D’autres évènements avaient surpris tout le monde, comme cette fois où, parce qu’il avait répondu à côté, elle lui avait hurlé dessus, avec toute la violence du monde. Il réfléchit. On n’a plus jamais entendu parler de lui.
***
Et il y a eux deux. Lui et son frère. Ils l’ont connu au moment où il s’était enfermé dans sa chambre. Ils le savaient désespéré. Il se confiait à eux sans difficultés. Leur faisait confiance. Il ne leur avait pas semblé méchant. Ils le savaient critique contre certaines idées, certaines tendances, quoiqu’avec le temps, il s’est assagi.
Souvent, ils discutaient. C’était sur Discord. C’est là qu’ils se sont rencontrés. Il aimait parler d’art, surtout de musique. Il parlait de ses musiques de jeux vidéo préférées : Earthbound, Chrono Trigger, Pokémon Or et Argent, Final Fantasy IX, Kingdom Hearts, Spiritfarer, Omori… Leur parlait de choses qu’ils ne soupçonnaient pas, comme des gamelans balinais et javanais, des musiques d’Afrique de l’Ouest, de l’ethnomusicologie, des micro-intervalles, du répertoire moderne de clavecin ou des compositrices oubliées. Il tapait souvent sur les pianistes qui jouent au piano le répertoire du clavecin : « Ce n’est pas parce qu’il y a un clavier que c’est la même chose ! » disait-il, et il y avait dans sa colère quelque chose de comique, de presque ridicule. Outre cela, il s’intéressait à la paléontologie. A l’histoire et à l’archéologie, énormément. A l’astronomie. A des sujets de société, aussi. Les violences sexuelles sur mineurs. Personne n’en a rien à foutre, pensait-il. Personne n’a rien à foutre des violences sur mineurs, quelles qu’elles soient. Ca lui tenait à cœur. Il pestait contre la méconnaissance du public. Contre tous les mythes sur les violences sexuelles. La récupération politique d’un sujet important et qu’on persistait à ne pas comprendre. Il y avait la toxicomanie, aussi. La stigmatisation des toxicomanes. Des alcooliques. L’alcoolisme féminin. La stigmatisation des personnes obèses. Cette persévérance à pointer du doigt les effets sans comprendre les causes. Et surtout, il y avait toutes les questions de santé mentale. C’est ce qui a tout changé, pensent-ils. Enfin, il s’acceptait pleinement, acceptait ses faiblesses, sa vulnérabilité, son humanité. Il le savait maintenant. L’humain, comme tout dans ce monde, est vulnérable, fragile. On peut faire les forts, les beaux. Mais à l’échelle de l’univers, nous ne sommes rien. Même à l’échelle de notre planète, nous tombons facilement. Progressivement, il s’écarta de toute influence néfaste. Il comprit son erreur. Il avait fait la paix avec soi-même.
Un chose, surtout, l’a aidé à avancer, à ne pas abandonner. L’arrivée de Clémentine. Il avait toujours rêvé d’avoir un chat. Il aimait les chats. Longtemps, on le lui avait refusé. Puis un jour, ça s’est fait. Sans cesse, sur les réseaux sociaux, il publiait des photos et des vidéos d’elle. Il en publie encore. En envoie, en message privé. Un rien pouvait l’émerveiller, chez elle. Parfois, il se confiait sur ses inquiétudes. Il avait connu l’inquiétude de ne pas la voir revenir. L’inquiétude de la voir grandir et de savoir que le temps passe. L’inquiétude à l’idée que des voisins malveillants puissent s’en prendre à elle. Quand elle grimpait à l’amandier, dans le jardin, il se mettait en dessous, de peur qu’elle tombe. On avait coupé ses branches pour qu’il soit moins haut. Maintenant, ça avait repoussé. Il la voyait jouer avec le chat des voisins, amusé, mais prêt à bondir si ce chat l’agressait. Il disait combien il trouvait beaux ses yeux. Disait qu’ils étaient le centre du monde, de l’univers. Qu’une fois qu’elle serait morte, le monde disparaitrait avec elle, avalé par un trou noir gigantesque. Il savait ce que c’était que de s’inquiéter pour quelqu’un. C’est ce qui l’a sauvé.
Ce texte se présente comme un premier jet (il y en a probablement d’autres) d’une auto-biographie à la troisième personne du singulier. Il s’y raconte quelques étapes d’une vie d’étudiant en quête sinon d’identité, de marche à suivre pour quitter l’enfance et le cocon familial plutôt protecteur. C’est une phase étrange de sa vie qui lui réserve des espoirs et des inquiétudes. Des angoisses parfois. Il a sans doute endossé ce qu’on appelle un « faux-self » en essayant de muer vers la vie autonome. Se remplissant de savoirs encombrants et hétérogènes. Cette mue s’avère difficile, il est de plus en plus seul, mais elle lui permet de prendre conscience de ses désirs qui le déroutent littéralement. Il reste embusqué dans ses fantasmes et remplace petit à petit ses interlocuteurs ou interlocutrices réel.le.s par des jeux vidéos et des playlists de musique qui l’immergent dans une autarcie dont il sent les limites et les inconvénients. Il rompt son isolement en adoptant une petite chatte. C’est elle l’enfant, et c’est lui qui grandit, la prenant sous son aile. Maintenant, il a peur pour elle.
Le Roman d’une vie d’étudiant est peut-être le sujet à creuser, une traversée de la fin d’adolescence avec ses choix affectifs périlleux, à décliner si possible à la première personne du singulier. Devenir en tant que narrateur, le personnage principal et l’assumer. Les autres personnages auront alors leur place et leur distance pour créer cette pièce de théâtre en quête d’auteur…
Merci Jad, de nous confier cette tranche de vie. Le chantier d’écriture est ouvert. Bon week-end !
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Je relève (pour aérer et décompresser) quelques phrases pouvant servir de boutures pour développer le propos :
Il a toujours été craintif
Il avait du mal avec les amis.
Au collège, il avait rencontré des difficultés. C’était un enfant curieux, mais paresseux.
Il subissait les moqueries de ses camarades de classe. Leur mépris. Leurs insultes.
Il était sorti de nulle part
Un mot est revenu pour le qualifier : grandiloquent […]. un personnage de théâtre
Globalement, il était apprécié des autres. On le trouvait drôle. C’est quand il s’est intéressé à la politique qu’il a commencé à changer. A devenir définitivement sombre.
Le premier jour, on l’avait vu entrer dans la salle de classe, affichant un large sourire figé, guignolesque. Ainsi ont commencé les deux années en Master de lettres.
Une année et quatre mois pour lui. Il s’est senti obligé de partir, se souvient-il. Il est devenu nerveux, comme une bête qu’on traque. Il supportait de moins en moins le corps enseignant.
Il réfléchit.
Il y a la passion qu’il s’était découvert pour la musicologie.
.Peut-être était-il amoureux de l’enseignant.
Ce qui a tout précipité, surtout, c’est le changement de directrice de mémoire.
C’est là qu’ils se sont rencontrés. Il aimait parler d’art, surtout de musique. Il parlait de ses musiques de jeux vidéo préférées
Un chose, surtout, l’a aidé à avancer, à ne pas abandonner. L’arrivée de Clémentine. Il avait toujours rêvé d’avoir un chat. Il aimait les chats. Longtemps, on le lui avait refusé.
Merci pour ce commentaire et ces conseils. Oui, l’adoption de ma chatte a été décisive dans ma vie. Ce qui m’intéressais beaucoup, ici, c’était de présenter ce personnage (mon double), comme fautif. Éviter, comme dans d’autres textes, d’en faire une simple victime, mais il fallait le voir comme un coupable aussi. Et il y a tout le parcours étudiant, assez éprouvant. Des souvenirs, des amitiés regrettées.
Double ou pas, victime ou coupable, peu importe, ce n’est pas si simple, l’écriture réclame un positionnement plus clair, un choix narratif qui fasse décoller le sujet au sens propre et figuré. Il était une fois ou plusieurs, un homme parmi tant… Alors qu’a-t-il à dire, à (se) prouver, à archiver ? On en est tous et toutes à se le demander dans cet Atelier. Faire entrer la poésie ? (Qui est aussi fiction).
Je lis ce texte collé à l’être, très proche de la pensée du narrateur, intime (s’il s’agit de toi). J’attends sans doute qu’il prenne un chemin qu’il lui permettra de prendre un peu de distance, de s’aérer. Du fantastique, pourquoi pas. Si tu es BD, as-tu lu Inside Moebius ? Très inspirant pour moi. Mais il n’y a rien de heurtant dans ces lignes pour le lecteur, peut-être une certaine gène pour l’écriveur…
Merci pour le commentaire. Je suis peut être trop réaliste. C’est une étape nécessaire, pour moi. Le fantastique m’intéresse beaucoup. J’ai beaucoup entendu parler de Moebius, mais je n’ai jamais eu l’occasion de le lire. Par quoi commencer ? En Comics, j’ai adoré, récemment, découvrir V pour Vendetta. Je me suis précipité en librairie pour m’acheter Watchmen, du même auteur.
Sous la signature de Moebius, l’oeuvre est assez fournie et complexe. A mon sens, c’est dans le déploiement du monde onirique qu’il est le plus intéressant, mais encore une fois, c’est assez complexe. Dans les univers du Major Fatal et le Monde d’Edena ou celui d’Arzak, il y a pas mal de pistes. Va voir sur le site http://www.moebius.fr., tu trouveras des portes d’entrée vers ces univers. Moebius, c’est aussi la reprise du surfer d’argent chez les super-héros de Marvel (avec Stan Lee) ou encore, sous la signature de Jean Giraud (son vrai nom), toute la série des Blueberry (mais là, pas de monde onirique).
Pour en revenir à Alan Moore, l’auteur de V pour Vendetta et de la série des Watchmen, il a aussi écrit quelques bouquins dont Jérusalem, un roman de 1900 pages (chez Babel Actes Sud) sur sa ville natale Northampton. Un truc assez fou. Je l’ai trouvé par hasard chez un bouquiniste mais j’avoue ne pas encore avoir eu le courage de m’y attaquer.