#été2023 #05 | la crise

Pepe

Ils détruisent le pays. Pas plus tard qu’hier, à l’angle des rue Sazie et República, tu sais ce que j’ai vu ? Ben la queue. Ouais, et cette fois, elle faisait tout le tour du quartier. Ça te semble normal à toi tous ces gens qui demandent d’habiter ici ? Ben pas à moi. Ce n’est pas la terre promise de l’Amérique latine ici. On arrive à peine à survivre avec trois boulots par jour. Et maintenant voilà que le peu qu’on a gagné, on va se le faire voler par des délinquants qu’on accueille à bras ouverts. D’ailleurs je t’interdis de sortir le soir. Pas plus tard que la semaine dernière, la fille à Jasmina, elle s’est fait braquer en rentrant des cours du soir. Mais oui, c’est vers là qu’on va avec toutes vos conneries socialistes, détruire le pays, je te dis.

Roger

C’est là notre chance à tous de recommencer, tu comprends ? chuchote-t-il en caressant le tronc de l’arbre. On avance depuis des décennies avec une jambe cassée et puis un beau jour on apprend qu’on pourrait réparer, tu vois ? On pourrait apprendre à marcher correctement. Ah ! ça ne se fera pas en un jour, mais quel espoir ! Ecoute-moi un peu ça : Tous les hommes sont égaux en droit. C’est un début digne d’Hollywood ou de la Révolution française, non ? Un début comme on n’en voit que dans les grands textes. C’est le début de tout, c’est par là qu’il faut commencer. Pour la première fois mes ancêtres mapuches pourraient se réconcilier avec les conquistadors. Il faut soigner le monde pour en construire un nouveau. Et c’est notre tour maintenant. Le président, c’est un qui était dans la rue avec nous, un qui peut changer notre destin à tous, celui qui peut réconcilier toutes les parties de nous. On va entrer dans l’histoire !

Pepe

J’ai trois mille, mais j’en dois cinq dans deux semaines. J’ai une semaine pour trouver deux mille cinq cents. Parce qu’il me faut au moins cinq cents par semaine pour la maison. Alors disons mille pour les frais courants plus deux mille de dettes, en plus des trois mille que j’ai. Je peux demander les cinq cents à Claudio, peut-être même mille, je lui rendrais plus tard. Je dois toujours dix à la tante Cecilia et quinze à Tomas. Mais s’ils ne m’ont rien demandé, c’est qu’ils n’en ont pas besoin. De toutes façons, je vais me refaire avant la fin de l’année. Le mois prochain, j’ai les traites qui tombent, ça fait trois mille plus huit cent cinquante. Avec les deux mille cinq cents pour le loyer, faut que je me souvienne de ne rien dépenser d’autre. C’est l’asphixie. Si seulement on virait les socialistes, au moins, j’en aurais pour mon argent.

Ana

Non ! C’est non qui a gagné au référendum. Non, les citoyens de ce pays ne sont pas égaux sur le sol. Non, on ne veut pas d’un pays juste. Non, on ne va pas réparer ce qui a été fait. Non on ne demandera pas pardon. Non, non, non. Quelle humiliation et Boric que l’on fait s’agenouiller pour s’excuser ! C’était trop ambitieux, trop naïf. Comment a-t-on pu croire qu’on allait redresser la barre. Je les regarde sourire, je vois leurs visages éclairés. Je ne comprends pas, je n’ai qu’une envie, me barrer d’ici. Abandonner tous ces imbéciles à leur sort. Est-ce qu’ils ne rendent pas compte? Les gens sont de plus en plus cons ma parole ! Avant, ils luttaient pour bouffer, maintenant, ils s’en foutent, ils veulent une bonne connexion Internet.